Avec l’arrivée du virus de la Covid-19, nos vies ont été bouleversées. Partout dans le monde les gouvernements ont avancé à tâtons pour comprendre cette pandémie, détecter le virus et le traiter. Au Canada, nous avons pu observer des interventions de la santé publique similaires à ce qui est adopté de par le monde. Les mesures principales ont visé la limitation des contacts personnels avec nos concitoyens afin de contenir la propagation du virus. Nous en sommes venus à voir les mesures de confinement comme l’instrument principal pour arrêter cette pandémie.
Aujourd’hui, nous nous interrogeons. Se pourrait-il que les confinements qui se prolongent dans le pays répandent un mal plus grand encore que le virus? De tels questionnements nous amènent à soulever une question encore plus fondamentale : quelle sorte de Canada voulons-nous?
Le risque d’y perdre notre humanité
En tant que chrétien, un aspect de notre appel est celui de pleurer avec ceux qui pleurent. Pleurer ensemble demande intimité, et comprend un support physique et émotionnel.
Cet automne, alors que nous participions à des funérailles, une dame âgée était en larmes, se remémorant le départ de son propre époux plusieurs années auparavant. Alors que je (Yanick) marchais à ses côtés face au vent glacial de novembre, cette chère sœur pleurait. À ce moment, j’ai enfreint les règles sanitaires en lui caressant doucement le dos pour la consoler. En posant ce simple geste, j’ai réalisé combien nous avions perdu de notre humanité dans cette crise; j’étais techniquement en faute et passible d’amende. Je n’ai pu m’empêcher de me dire que nous devions réfléchir à la direction que nous prenons en tant que société. Nous devons considérer ce qui définit nos rapports humains, à la lumière de l’Évangile de Jésus-Christ.
Combien il est ironique que les mesures qui visent sans l’ombre d’un doute à sauver des vies en blessent tant au passage
Se pourrait-il qu’un danger plus grand encore que le virus lui-même nous guette : perdre notre humanité? Combien il est ironique que les mesures qui visent sans aucun doute à sauver des vies en blessent tant au passage. En tant que pasteurs, nous côtoyons la maladie mentale, l’isolement, la dépression. Et c’est avec joie que nous nous investissons dans notre appel à écouter, encourager, et supporter malgré la détresse tangible qui grandit. Mais nous persévérerons dans ce ministère, tout en nous interrogeant : comment pouvons-nous honorer et aider ceux que Dieu a créés à son image afin qu’ils survivent à cette pandémie?
Compassion sélective
Quand nous regardons aux mesures pour contenir le virus, la motivation principale est la compassion, à l’image des paroles de Jésus, « aime ton prochain comme toi-même » (Marc 12.31; Luc 10.27). Ainsi poussés par la compassion, nous restreignons nos déplacements, nous nous distançons les uns des autres, portons des masques et lavons nos mains. Actuellement, c’est cette expression de la compassion qui est élevée au Canada. Cependant, un phénomène s’est répandu partout au pays : la compassion est devenue sélective; elle s’est résumée essentiellement à ces mesures.
La compassion n’est pas disparue, au contraire, mais bien d’autres expressions essentielles de cette dernière ont été proscrites. Cela heurte notre conscience de se dire qu’abandonner un être aimé seul sur son lit de mort soit la meilleure décision pour limiter la possibilité de nouvelles infections. Restreindre la compassion à la possibilité de nouvelles infections en interdisant l’expression de la compassion face à des souffrances réelles et immédiates froisse la conscience. Comme Jacques (4.17) l’exprime si bien, « Celui donc qui sait faire ce qui est bien, et qui ne le fait pas, commet un péché ».
En temps normal, lorsque nous choisissons de manifester notre amour, nous pouvons laisser cours à notre créativité. Nous pouvons nous visiter, faire une franche accolade, ajuster le ton de notre voix aux subtilités du langage non verbal. Mais quand nous restreignons ainsi dramatiquement la compassion à la distanciation sociale, et au confinement, nous pouvons ressentir que cette socialisation pour laquelle notre Dieu nous a créés est franchement amputée.
Participer à un appel vidéo est pour le moins éloigné du commandement de « se saluer les uns les autres d’un saint baiser » (2 Cor 13.12). Ou encore, pensons aussi aux malades venus à Jésus, à Génésareth, implorant la permission de toucher son vêtement (Matt 14.36).
Alors que le virus et ses impacts sont réévalués, pourrions-nous élargir l’expression de la compassion afin qu’elle comporte tout à la fois des mesures prudentes sur le plan de la prévention de la contagion, mais qui permettent aussi l’expression de notre affection physique si importante à l’humain.
Quelle sorte de Canada voulons-nous?
Le Canada est un pays qui cherche à représenter une société empreinte de compassion. La compassion pour les êtres humains, qu’ils parlent français, anglais, mandarin ou hindi, attire les gens à venir s’établir au Canada et cela de toutes les régions du monde. Les Canadiens ont embrassé une réponse franchement compatissante face au virus en se conformant aux mesures de distanciation sociale. Ne serait-il pas temps pour les gouvernants de reconnaître que cette expression limitée de la compassion ne peut être soutenue ainsi? Le Canada a besoin de retrouver une ouverture à toutes sortes d’expression de la compassion, pour toutes sortes de vies si diverses, de la naissance à la résidence pour aînés, afin de célébrer la dignité de ses citoyens canadiens créés à l’image de Dieu.
Ne serait-il pas temps pour les chrétiens d’inviter notre société à ouvrir plus largement ses bras de compassion?
Voici donc une question délicate que les chrétiens pourraient – et peut-être devraient – amener dans la conversation publique. Alors que cette crise sanitaire perdure, que nous adoptons de nouveaux codes sociaux, une nouvelle étiquette, redéfinissons nos rapports à l’autre. Ne serait-il pas temps pour nous chrétiens d’inviter notre société à ouvrir plus largement les bras de la compassion? Devrions-nous inviter nos concitoyens à élargir l’expression de cette compassion?
Qu’un esprit de douceur nous guide (Phil 4.5), alors que nous invitons nos communautés à entrer dans un dialogue, à savoir comment pouvons-nous retrouver des gestes d’amour et de compassion envers notre prochain. Avec humilité, nous devrions apporter sur la place publique cette question fondamentale d’une compassion plus ouverte, et si essentielle à notre humanité.