Introduction
Lorsqu’on pense au mot structure, on pense surtout à une sorte de table des matières qui annoncerait la succession des thématiques d’un livre ou des idées d’un passage. On retrouve ce genre d’information dans les Bibles d’étude, dans les livres d’introduction et tous les bons commentaires qui exposent, d’entrée de jeu, leurs choix de schématisation. En réalité, cette manière d’exposer le contenu d’un livre biblique est bien, mais ne rend pas totalement compte de la complexité de sa composition. Notre approche est occidentale. Pour preuve, elle est la première chose que l’on va lire lorsqu’on fait une recherche universitaire et qu’on doit rendre compte d’un énorme document académique. Bien souvent, on se dépêche d’aller lire la table des matières ainsi que la conclusion. C’est ce qu’on appelle des marques structurelles externes et une approche linéaire de l’exposition des idées. Le problème avec les livres bibliques c’est que nous importons cette manière moderne et occidentale de faire dans nos lectures d’un livre antique et plutôt oriental.
Or, les peuples sémitiques tels qu’Israël ont des canevas d’écritures bien spécifiques et différents des nôtres avec des marques structurelles internes et une exposition des idées souvent circulaire. Par exemple, pour savoir où commence et où se termine une unité thématique, un Hébreu regarde s’il y a présence d’inclusions (procédé où on répète au début et à la fin d’une section une formule). Et lorsque ce même Hébreu veut comprendre le cœur d’une unité, il ne va pas à la fin, mais il regarde en son centre, car le cœur des structures sémitiques communique bien souvent la clé de compréhension de tout le passage. De la même manière que bien comprendre une table des matières et le développement logique nous aide à mieux saisir le sens des écrits occidentaux, bien comprendre les structures littéraires typiques des sémitiques nous permet de mieux saisir le sens des livres bibliques. Ce qui distingue l’analyse structurelle de tout autre type de méthodes interprétatives, c’est qu’elle étudie la spécificité des arrangements littéraires propres aux textes bibliques. On peut dire qu’elle est la seule méthode d’exégèse appliquée à la Bible qui est en fait née inductivement de simples observations empiriques de celle-ci1.
Origine de la méthode
Même si l’analyse structurelle est aujourd’hui une méthode à part entière, l’intuition que la Bible porte des structures intentionnelles de composition ne date pas d’hier. Déjà en 1753, Robert Lowth publie « les Leçons sur la poésie sacrée des Hébreux », dans lequel il découvre le « parallélisme des membres » propre à la poésie hébraïque de l\’A.T. et montre que les membres des vers bibliques s\’articulent entre eux de manière construite. Il identifie d’abord le « parallélisme synonymique » lorsque les membres expriment la même idée, le « parallélisme antithétique » lorsqu’ils expriment deux idées opposées et le « parallélisme synthétique » dans les autres cas.
Dans les années 1820, John Jebb et Thomas Boys montrent que les découvertes de Lowth s’appliquent à des textes plus longs, en considérant des unités de texte d\’un niveau supérieur, comprenant plusieurs membres qui se répondent en reprenant des termes identiques. Ils évoquent des constructions parallèles et concentriques. Leur étude se porte aussi sur le N.T., dans lequel ils retrouvent la même méthode de fonctionnement.
Mais c’est vraiment en 1942 que Nils W. Lund, dans son livre Chiasmus in the New Testament: À Study in the Form and Function of Chiastic Structures, propose plusieurs lois sur l\’ordonnancement des idées dans la structure symétrique du texte qui auront un impact considérable sur l’étude structurelle. Toutes ces intuitions serviront de base à la naissance d’une méthode toujours en évolution et en constante précision. Avant de voir précisément comment on procède aujourd’hui pour identifier et interpréter une structure biblique, voyons quelques avantages de la maîtrise de cet outil exégétique pour la prédication.
Quelle est l’utilité de l’analyse structurelle pour la prédication ?
Il existe beaucoup d’avantages pour l’étudiant qui sait maîtriser cette méthode exégétique :
Premièrement, elle permet d’honorer convenablement le texte en dévoilant l’état dans lequel l’auteur a désiré composer son œuvre. Ne serait-ce que pour mieux apprécier l’esthétique du passage, ce travail en vaut la peine !
Deuxièmement, comprendre le fonctionnement des structures bibliques nous assure une délimitation plus juste de nos passages.
Troisièmement, comme le nom de cette méthode le laisse entendre, elle permet de mieux structurer nos passages. Cet atout devient pertinent lorsque vient le temps de diviser les points de notre prédication. Incidemment, puisque cette méthode identifie les répétitions dans le texte, elle nous permet de comprendre où commence et où se termine la thématique abordée dans notre message, et peut nous éviter d’être redondant, sans quoi, nous pourrions prêcher deux fois le même point.
Quatrièmement, l’analyse structurelle peut rassembler des portions de texte qui ne semblaient pas avoir quelque chose en commun au premier regard. Par exemple, prenons le livre de Proverbes 10.1-52.
Alors que pendant longtemps on a considéré les Proverbes comme une vulgaire compilation de maximes indépendantes les unes des autres, on peut clairement voir ici que l’enchaînement est très rigoureux puisqu’il s’agit, de toute vraisemblance, d’un discours unifié et non pas d’une vulgaire succession inorganique de proverbes isolés 3.
Cinquièmement, lorsqu’un livre contient de grandes structures couvrant plusieurs portions, bien les saisir permet de venir compléter le sens de certaines portions qui, sans quoi, demeureraient incomplètes.
Sixièmement, la structure d’un texte nous informe généralement sur son déroulement logique.
Finalement, une structure dirige l’attention au bon endroit. Prenons l’exemple du récit de Gédéon4.
La plupart des prédicateurs qui abordent le récit de Gédéon vont porter leur attention sur la guerre entre Israël et Madian. Si l’on pense de manière intuitive, cela semble justifié. Néanmoins, une habile maîtrise des structures de composition révèle que l’enjeu du récit ne se situe pas au niveau de la guerre, qui n’est que le dénouement du récit, mais bien lors du combat de la foi personnelle de Gédéon. Le combat pour la foi est le centre du récit de Gédéon, qui est lui-même le centre du livre en entier des Juges. Il n’est pas anodin que ce récit central serve de prélude à l’effondrement du reste du livre. Le véritable combat d’Israël, qui se reflète dans ses leaders, est celui de la foi et la fragilité de cette dernière explique son échec pressenti.
Mise en garde
L’abus de certains commentateurs, qui ont forcé des textes bibliques à entrer dans le moule des structures sémitiques avec les dernières années, a amené d’autres commentateurs à rejeter ce genre de méthodes5. L’exégète précautionneux ne doit pas tomber dans ni l’un ni l’autre de ces deux écueils, soit forcer malhonnêtement un texte, soit rejeter en bloc cette méthode. Par conséquent, d’un côté, l’importante utilisation généralisée de ces procédés stylistiques par les peuples sémitiques doit nous amener à y porter beaucoup d’attention. D’un autre côté, l’excès de certains doit nous prévenir d’utiliser sagement cette méthode, de toujours vérifier les dires des commentateurs qui proposent des structures et de rechercher celles établies à l’aide de critères sévères.
Méthode
L’herméneute peut procéder en trois étapes :
- Il faut repérer les correspondances dans le texte;
- Puis, il faut dégager la structure typique;
- Finalement, on peut tenter d’interpréter ce choix de structure.
1. Repérer les correspondances
Les peuples sémitiques s’expriment à l’aide de différents types de répétitions que l’on nomme « correspondances ». En analyse structurelle, on fait remarquer la présence d’une correspondance à l’aide de schéma alphabétique. Par exemple, il serait commun de trouver ce genre de formulation dans la Bible : « YHWH est bon pour Israël et le Seigneur est juste envers Juda ». À chaque terme, on pourrait attribuer une lettre de l’alphabet afin de pouvoir visualiser à la fois les répétitions et à quel terme correspond chacune de celle-ci. Par exemple :
Il existe différents types de correspondances. Il y a ce que l’on appelle les « parallélismes synonymiques » tel que nous venons de voir dans l’exemple précédent. Dans ce genre de correspondances, le sens des mots et des idées du deuxième membre (nom d’une ligne en poésie hébraïque) renvoie à ceux et celles du premier membre6. On exprime la présence d’un parallélisme synonymique à l’aide d’un prime (par exemple : A//A′).
Il y a aussi un autre type de correspondance assez commun dans la Bible, il s’agit du « parallélisme antithétique ». Comme son nom le laisse entendre, il ne s’agit plus d’une correspondance établie sur la base d’un synonyme, mais bien d’antonyme. Autrement dit, nous sommes en présence d’un parallélisme antithétique lorsque le sens des mots et des idées du deuxième membre est opposé à ceux et celles du premier membre. On mentionne la présence d’un parallélisme antithétique à l’aide d’exposants positifs et négatifs. (A+//A–). Par exemple :
La dernière catégorie de correspondance sert un peu de catégorie « fourre-tout », le « parallélisme synthétique ». Plusieurs types de ces parallélismes existent. Le rapport entre les lignes n’est pas établi par une correspondance d’images ou d’idées de types homonymes ou antonymes, mais plutôt par une construction d’idées7. Il est difficile de réduire véritablement l’ensemble des rapports et des liens qu’entretiennent toutes les correspondances que l’on peut retrouver dans les textes bibliques. C’est pourquoi certains auteurs parlent de « dynamique interprétative8 ». Ainsi, qu’elles soient principalement synonymiques, antithétiques ou synthétiques, plusieurs dynamiques interprétatives peuvent rendre compte d’une répétition9. Notre tâche est de toujours réfléchir à la nature de ce qui unit deux correspondances. Voici quelques exemples de liens qui peuvent s’établir entre deux correspondances10 :
1) Un lien de subordination : le deuxième récit ou segment poursuit le sens du premier, mais il va plus loin et/ou il complète le premier. L’un ne va pas sans l’autre et les deux segments ont besoin l’un de l’autre pour s’interpréter mutuellement.
2) Un lien de contraste : les segments sont similaires, mais ils contiennent des nuances et des différences qui les mettent en contraste. La tâche de l’interprète est alors de chercher la différence dans ce qui semble identique.
3) Un lien de comparaison : un segment sert de référent afin de comparer une situation avec un second segment.
4) Un lien de continuation : les segments semblent similaires, mais il y a tout de même une progression qui est observée.
5) Un lien de spécification : il s’agit d’un mouvement qui passe du général au spécifique. Parfois, un premier discours possède une portée globale, puis dans un second, des termes similaires seront repris, mais s’adressant à des situations ou des gens plus spécifiques. L’exemple des deux récits de la création résume bien ce point; le premier est global et concerne la création du monde et tout ce qu’il renferme et le deuxième est spécifique à l’humanité.
6) Un lien d’intensification : on peut percevoir une dégradation et un aggravement d’une situation d’une correspondance à l’autre11. Par exemple, il y a les cycles de l’Apocalypse qui empruntent une structure d’intensification : de nombreux éléments sont répétés de manière cyclique afin de produire cet effet de tension exacerbée qui va aboutir à la grande fin de l’histoire. La structure du livre des Juges offre aussi un bon exemple d’intensification du mal.
7) Un lien question-réponse : parfois, un premier segment présente une question et un second la réponse. L’exemple que nous fournit Proverbes 1.22-33 permet de très bien illustrer ce genre de dynamique interprétative12. Les correspondances A et A′ sont construites selon le schéma question-réponse alors que les correspondances B et B′ selon un schéma cause-conséquence.
8) Un lien de synthèse : parfois un verset qui débute ou termine une section vient résumer le thème dominant de toute la section. Dans certains cas, le verset fournit même le cadre selon lequel le passage va se développer.
9) Le lien complémentaire : dans certains cas, le deuxième membre ne vient pas répéter l’idée du premier, mais simplement la compléter.
10) Le lien du type cause-conséquence : dans ce type de parallélisme, le premier membre déclare un fait et le deuxième membre décrit sa conséquence, comme dans l’exemple de Proverbes 1.22‑33 ci-dessus.
11) Un lien d’explication : un premier segment sert à présenter une idée ou un évènement, suivi d’une interprétation (par exemple, Matt. 13.4-9, 18-23, la parabole du semeur).
12) Un lien emphatique : il arrive que la répétition vienne simplement appuyer et réaffirmer la première occurrence. Comme dans le cas du Psaume 92.10 : « Car voici, tes ennemis, ô Éternel ! Car voici, tes ennemis périssent; tous ceux qui font le mal sont dispersés ».
13) Un lien emblématique : surtout dans la poésie hébraïque, il arrive que la deuxième ligne vienne illustrer symboliquement une idée exprimée littéralement lors de la première ligne. Prenons l’exemple du Psaume 42.2 : « Comme une biche soupire après des courants d’eau, Ainsi mon âme soupire après toi, ô Dieu ! »13.
2. Identifier une structure type
Les parallélismes
Une fois que l’on connaît bien l’inventaire des structures types utilisées par les peuples sémitiques, il devient plus facile de pouvoir les distinguer. Lors de la première étape, nous avons traité des types de relations que peuvent entretenir des correspondances. Maintenant nous allons voir comment celles-ci se structurent. La première structure est celle que l’on nomme « parallélisme régulier ». On se retrouve en face d’un parallélisme régulier lorsque les éléments du deuxième membre (pour une microstructure), ou tous les éléments de la deuxième section (pour une macrostructure) se retrouvent dans le même ordre que le premier membre (ABC//A′B′C′). Par exemple :
La deuxième structure type que l’on retrouve est le « parallélisme inversé » ou chiastique. On retrouve cette structure lorsque les éléments de la deuxième ligne se répètent, mais dans l’ordre inverse (ABC//C′B′A′). Par exemple :
La troisième structure type est très commune dans la Bible, il s’agit du « parallélisme inversé concentrique » ou bien du chiasme concentrique (par exemple : ABC/D/C′B′A′). Parfois, on utilise même l’expression « à pointe émergente » à la place de concentrique. On retrouve cette structure lorsque les éléments de la deuxième ligne se retrouvent dans un ordre inversé par rapport à la première ligne, tout comme pour le parallélisme inversé, mais à la différence qu’il y a un élément central de plus. Bien évidemment, il est parfois difficile de savoir si nous sommes en face d’un parallélisme inversé simple ou concentrique, il faut accepter une part de subjectivité dans l’exercice de cette méthode. Dans tous les cas, il y a toujours un centre dans chaque structure. Par exemple :
Il existe aussi ce que l’on appelle les « parallélismes asymétriques ». Nous sommes en présence d’un parallélisme asymétrique lorsque : 1) les éléments du premier membre sont repris dans le deuxième membre dans un ordre différent et non constant (par exemple : ABCD//D’A’B’C’); 2) lorsqu’un élément est ajouté dans l’un des deux membres (par exemple : AB+CD//D’C’B’A’); ou 3) lorsqu’au moins une correspondance de la structure est interchangée (par exemple : ABCD//A’B’D’C’). Parfois, l’élément en trop peut être considéré comme une sous-partie appartenant soit à la correspondance précédente ou à la suivante. Dans l’exemple ci-dessus, l’élément + pourrait être une simple extension soit de B, soit de C, et le contexte aiderait à trancher. Dans certains cas, l’élément + est une incise, comme une glose explicative, qui semble avoir été ajoutée postérieurement au texte. Parfois, l’ajout d’un élément ou le désordre qui vient déranger une structure bien réglée révèle une intention de l’auteur afin d’attirer notre attention. Dans ce dernier cas, être en mesure de relever cette asymétrie peut s’avérer important lors de l’interprétation.
Les inclusions
Les « inclusions » sont un autre procédé stylistique propre aux peuples sémitiques qui est important à maîtriser. Les inclusions sont des formulations synonymiques, antithétiques ou polaires qui se retrouvent au début et à la fin d’une unité thématique. Il n’y a pas forcément de structure entre les inclusions, elles ne servent qu’à introduire et conclure le passage (par exemple : A1 … A1). Parfois, un enchaînement complexe d’inclusions permet d’imbriquer, un peu comme une chaîne, des mini‑thématiques afin de former une grande thématique. Par exemple, une inclusion interne servira à délimiter une section à l’intérieur d’une plus grande structure. À titre d’exemple, prenons le cas de 1 Rois 1.24-2714.
24 Ensuite Nathan dit : Ô roi, mon seigneur, c’est donc toi qui as dit : « Adonias deviendra roi après moi, c’est lui qui s’assiéra sur mon trône ! » 25 Car il est descendu aujourd’hui, il a sacrifié des taureaux, des bêtes grasses et du petit bétail en quantité; il a invité tous les fils du roi, les chefs de l’armée et Abiathar, le prêtre; ils mangent et boivent devant lui, et ils disent : « Vive le roi Adonias ! » 26, Mais il n’a invité ni moi qui suis ton serviteur, ni Tsadoq, le prêtre, ni Benaya, fils de Joïada, ni Salomon, ton serviteur. 27 Est-ce bien toi, qui l’as voulu ainsi ? Pourquoi ne m’as-tu pas fait savoir, à moi qui suis ton serviteur, qui s’assiéra sur ton trône, ô roi, mon seigneur, après toi ?
Les refrains
Les « refrains » sont similaires à des inclusions, à la différence qu’ils se répètent presqu’à l’identique, donc pas antithétiques ni polaires et ne servent qu’à introduire une nouvelle unité (A1 … A1 … A1 …). Par exemple, notez la formule « quel malheur pour celui qui… » dans le livre de Habaquq15.
A1 Quel malheur pour les accapareurs (2.6b-8)
A2 Quel malheur pour les gens malhonnêtes (2.9-11)
A3 Quel malheur pour les gens violents (2.12-14)
A4 Quel malheur pour ceux qui maltraitent les autres (2.15-17)
A5 Quel malheur pour les idolâtres (2.18-20)
Un autre exemple similaire est celui que l’on peut retrouver dans le livre du prophète Amos16. La formule « oracle contre… », introduit une nouvelle unité littéraire.
A1 Oracle contre les Araméens de Damas (1.3-5)
A2 Oracle contre les Philistins (1.6-8)
A3 Oracle contre les Phéniciens (1 9-10)
A4 Oracle contre les Édomites (1.11-12)
A5 Oracle contre les Ammonites (1.13-15)
A6 Oracle contre les Moabites (2.1-3)
A7 Oracle contre Judas (2.4-5)
A8 Oracle contre Israël (2.6-16)
Dans les deux cas, la reprise de la formule, tel un refrain, provoque une montée de pression qui escalade jusqu’à la grande finale. Dans le cas du livre de Habaquq, l’idolâtrie constitue le péché suprême à travers lequel toutes les autres fautes doivent être comprises. De même, alors qu’il y a une gradation dans les oracles de jugements, Amos conclut avec Judas, puis plus sévèrement avec Israël. C’est justement à cause de son statut particulier qu’Israël est la plus coupable d’entre tous.
L’acrostiche
Finalement, « l’acrostiche » est la dernière structure sémitique que nous pouvons retrouver dans la Bible. Elle est plutôt rare, surtout en comparaison avec d’autres déjà présentées, mais elle est quand même présente. Par exemple, on retrouve plusieurs Psaumes qui se présentent sous la forme d’un acrostiche (Psaumes 9-10; 25; 34; 37; 111 et 112). L’analyse structurelle permet même de constater que les Psaumes 119 et 145 forment ensemble un seul et même psaume. L’acrostiche permet, premièrement, à l’auteur de systématiser l’abstrait. Autrement dit, par où commencer lorsqu’on veut exprimer quelque chose d’abstrait comme son amour ? On prend alors le nom de la personne aimée et on débute un poème avec chaque lettre de son nom. L’acrostiche fournit une méthode là où il n’en existe aucune. Deuxièmement, elle permet de faire le tour de la question et de donner l’impression de dire tout ce qu’il y a à dire d’un sujet. Prenons le cas de Lamentation 1-4. Non seulement l’auteur possède une méthode pour exprimer sa lamentation, mais aussi l’effet de l’acrostiche donne l’impression que l’ensemble de ce qu’il y a à dire concernant le sujet a été dit.
Les niveaux de structures
Depuis le début de cette section concernant l’analyse structurelle, nous appliquons, à des fins d’exemples, la méthode à de toutes petites unités littéraires. C’est ce que l’on appelle, des « micro‑structures ». Bien souvent, les membres qui composent un texte forment aussi une plus grosse structure. Lorsqu’on étudie la structure d’un passage en entier ou d’une péricope, on parle de « maxi-structure ». Parfois, cette dernière fait aussi partie d’une plus grande structure que l’on appelle « macro-structure ». Il peut arriver qu’il y ait des structures de diverses grandeurs intermédiaires que l’on nomme simplement « méso-structure », c’est-à-dire, structures moyennes17. On peut imaginer que les textes bibliques fonctionnent un peu comme des poupées russes18. Il y a d’abord la macro-structure, qui représente la plus grande poupée. À l’intérieur, on peut y retrouver des poupées de forme moyenne-grande que l’on nomme méso-structure. À l’intérieur, on retrouve une poupée de forme régulière que l’on nomme maxi-structure. Finalement, à l’intérieur de cette dernière, on peut y trouver une toute petite poupée que l’on nomme microstructure. Afin d’illustrer les différents niveaux structurels d’un livre, on pourrait aisément reprendre l’exemple de l’introduction.
D’abord, il y a une macrostructure en forme de parallélisme inversé concentrique qui couvre l’ensemble du livre des Juges.
Au centre du livre des Juges, on retrouve le récit de Gédéon qui forme, quant à lui, une plus petite structure, elle aussi en parallélisme inversé concentrique de grandeur moyenne. Donc, on pourrait l’identifier comme une méso-structure.
Si je dois préparer une série de prédications sur le livre des Juges, je suis déjà au courant, grâce à la structure, que le récit de Gédéon sera central pour comprendre le problème que le livre désire mettre en exergue. Plus encore, la structure m’indique que la péricope 6.33-7.18, c’est-à-dire le combat de la foi de Gédéon, devra avoir une place capitale dans la prédication et dans l’interprétation globale du livre. Si je n’avais qu’un message à faire sur le livre des Juges, il est probable que ce segment serait le passage sur lequel s’appuierait mon sermon.
Mise en garde
Il est facile de se perdre rapidement dans l’étude des structures, car elles vont des plus petites unités littéraires aux plus grandes et parfois elles se chevauchent, se superposent, voire se mélangent. C’est pourquoi il est bien important de vous donner des objectifs réalistes et surtout cohérents à vos besoins19. Lorsqu’on analyse un écrit de type sapiential, comme un proverbe, ou poétique, comme un psaume, il vaudrait mieux favoriser l’analyse d’abord de la maxi-structure, puis de la micro‑structure. Le sens des écrits poétiques bibliques passe beaucoup dans la micro-structure. Alors que quand on étudie des textes narratifs, il vaudrait mieux se limiter à une bonne compréhension de la maxi-structure et de la macro-structure. Dans un récit, c’est surtout l’enchaînement des histoires et les rapports qu’elles entretiennent ensemble qui nous intéressent. C’est pourquoi la maxi et la macro-analyse importent plus dans l’analyse des récits et la micro pour la poétique.
3. Interpréter le fond selon la forme
Comprendre la structure de composition d’une œuvre apporte un avantage considérable lorsque vient le temps de l’interprétation. Mettre à jour une structure sémitique c’est, en quelque sorte, entrer dans la tête du compositeur et comprendre la logique avec laquelle il a composé son œuvre.
Plusieurs éléments sont à considérer lorsqu’on tente de comprendre la logique d’une structure. Le centre d’une structure est la priorité. Parfois l’ensemble de la structure pose une question et le centre va y répondre et parfois, c’est l’inverse. Dans tous les cas, le centre d’une structure est bien souvent le cœur de l’idée traitée. Ensuite vient la maîtrise des extrémités, car bien souvent, les inclusions servent à découper une unité littéraire (de la plus petite unité à la plus grande) et donnent aussi le thème traité de ladite unité. Puis, l’exégète doit être en mesure d’identifier correctement les types de rapports entre les correspondances. Les répétitions ne sont jamais fortuites ni gratuites. Lorsque deux éléments semblent identiques, cherchez ce qui les différencie, ainsi, lorsque deux éléments semblent opposés, cherchez ce qui les unit20. Alors, lorsque la correspondance ne semble être qu’une simple répétition synonymique, cherchez ce qu’elle apporte et en quoi elle complète ou se distingue de la précédente21. Prenons l’exemple de Luc 6.27-2822 :
Alors qu’au premier coup d’œil, on ne peut qu’y voir une tournure sémitique de répétition synonymique, en regardant plus loin que la ressemblance, on trouve une différence. Le deuxième verbe vient préciser le premier plutôt que de lui faire seulement écho. L’amour n’est pas une émotion, un désir ou un motif, c’est une action. Le second membre recèle une information supplémentaire concernant l’acte d’aimer, de même que l’identité de l’ennemi est décrite plus précisément comme ceux qui vous haïssent23.
Exemple de l’analyse structurelle des Proverbes chapitre 9
En conclusion
J’espère que ce bref tour d’horizon concernant l’analyse structurelle aura su titiller votre intérêt et vous permettra aussi de vous ouvrir à toute une foule de nouvelles ressources exégétiques. D’ailleurs, comme ressource supplémentaire, nous proposons le manuel de Jerome T. Walsh intitulé Style and Structure in Biblical Hebrew Narrative. Dans les prochains articles, nous traiterons des approches littéraires restantes.
Cet article fait partie d’une série. Vous pouvez lire les articles précédents en suivant ces liens :
1. Pourquoi interpréter?
2.1 D’où vient l’herméneutique moderne (partie 1)
2.2 D’où vient l’herméneutique moderne (partie 2)
3. Les critères d’une herméneutique proprement évangélique
4. Existe-t-il une bonne méthode d’interprétation ?
5.1 Les méthodes historiques d’interprétation de la Bible (partie 1)
5.2 Les méthodes historiques d’interprétation de la Bible (partie 2)
6.1 Les méthodes littéraires d’interprétation de la Bible (partie 1)
- Roland Meynet, Lire la Bible, Frammarion, 1996, p. 69-70. ↩
- Roland Meynet, Lire la Bible, p. 82. Les versets 1 et 5 (les extrémités) comptent huit termes en tout étalés sur deux membres. L’unité est délimitée par l’inclusion « fils ». Les versets 3 et 4 comptent six termes en tout étalés sur deux membres et usent d’une construction semblable autour d’une sémantique semblable (trésor, appauvrit et enrichit). Toutefois, deux voies différentes sont proposées (voler ou travailler). Seul le verset du centre compte sept termes. Le terme supplémentaire est le « Seigneur ». Les versets 1, 3 et 5 suivent la même construction (positive et négative). Tandis que les versets 2 et 4 suivent l’ordre inverse. ↩
- Roland Meynet, Lire la Bible, p. 82-85. ↩
- Bruce Waltke, Théologie de l’Ancien Testament, p. 640. ↩
- Matthieu Richelle, Guide de l’exégèse de l’Ancien Testament, p. 102-103. ↩
- Certains auteurs parlent aussi de « ligne » ou de « vers » comme en poésie classique, mais c’est surtout le terme « colon » qui est majoritairement utilisé dans la recherche; voir David L. Peterson, Interpreting Hebrew Poetry, Fortress Press, 1989, p. 23. L’exemple présenté ici serait donc un « bicolon » ou « bimembre » tout dépendant de la terminologie employée. ↩
- David L. Peterson, Interpreting Hebrew Poetry, p. 25. ↩
- Jerome T. Walsh, Style And Structure In Biblical Hebrew Narrative, Michael Glazier, 2001, p. 8. ↩
- Idem. ↩
- Cf. W. Klein (et al.), Intoduction to Biblical Interpreration, p. 230-36. ↩
- Cf. Klein, William, Blomberg, Craig et Hubbard, Robert, Introduction to Biblical Interpretation, p. 230-36. ↩
- Matthieu Richelle, Guide de l’exégèse de l’Ancien Testament, p. 108. ↩
- Glenn Smith, Sandra Smith, La méthode inductive de l’étude biblique, p. 6. ↩
- Jerome T. Walsh, Style And Structure In Biblical Hebrew Narrative, p. 61. ↩
- Matthieu Richelle, Guide de l’exégèse de l’Ancien Testament, p. 104. ↩
- Matthieu Richelle, Guide de l’exégèse de l’Ancien Testament, p. 109. ↩
- Marc Girard a déjà établi une nomenclature semblable à celle proposée dans cet article. À la différence que ce dernier propose que l’on parle de « giga-structure » pour identifier la plus grande structure possible d’un livre biblique, de « méga-structure » pour parler de structure moyenne-grande, de « maxi-structure » pour identifier la structure d’une péricope, de « macro-structure » pour parler des articulations inter-structurelles et finalement de « micro-structure » pour l’analyse des membres. Parfois, Girard utilise même le terme de « nano-structure » ; voir Marc Girard, Évangile selon Jean : Structures et symboles Jean 1-9, MédiasPaul, Montréal, 2017, p. 7. Dans un souci de cohérence d’avec les autres méthodes, telle l’analyse narrative qui considère la macro-structure comme étant la plus grande structure repérable d’un livre biblique, nous préférons l’emploi de « macro-structure » pour identifier la plus grande structure, de « méso-structure » pour identifier des structures intermédiaires, de « maxi-structure » pour signaler la structure d’un passage et finalement de « micro-structure » pour l’analyse des membres. ↩
- Roland Meynet, Traité de rhétorique biblique, P. Lethielleux, 2007, p. 549. ↩
- Jerome T. Walsh, Style And Structure In Biblical Hebrew Narrative, p. 8. ↩
- Roland Meynet, Traité de rhétorique biblique, p. 550. ↩
- Roland Meynet, Traité de rhétorique biblique, p. 552. ↩
- Roland Meynet, Traité de rhétorique biblique, p. 553. ↩
- Idem. ↩
Simon Jean-Claude Archambault est pasteur des ados depuis 10 ans au Canada et depuis 5 ans à l’Église le Portail dans la ville de Laval ainsi que responsable des formations bibliques. Détenteur d’un baccalauréat en Théologie Biblique de l’ITF et d’une maîtrise en exégèse de l’UdeM, il est aussi membre du Concile SOLA et professeur d’herméneutique à l’Institut de Théologie pour la Francophonie (ITF).