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Un proverbe tchadien bien connu dit qu’il faut savoir d’où on vient afin de mieux savoir où on va. Avant de se questionner sur ce qui constituerait une approche proprement évangélique et légitime de l’herméneutique, il serait pertinent de se questionner sur l’origine de l’herméneutique. Nous avons hérité des leçons et des outils issus de l’expérience, de l’échec et du succès du passé. W. Churchill disait : « Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre ». Afin de pouvoir continuer à avancer sans répéter les anciennes erreurs, il faut déjà être en mesure de connaître ce que l’on a gagné et compris dans le passé. D’autres ont existé avant nous, et nous pouvons profiter de leurs réflexions. C’est une démarche humble de reconnaître le besoin de travailler en équipe avec ceux qui nous ont précédés et qui ont participé à l’histoire de l’Église. Le bilan de ces réflexions constituera le point de départ de la nôtre. Mais d’abord, voyons ce que la Bible dit d’elle-même concernant son interprétation1.

L’époque postexilique (-538-0)

« Ils [Esdras] lisaient distinctement dans le livre de la loi de Dieu, et ils en donnaient le sens pour faire comprendre ce qu’ils avaient lu » (Né. 8.8). Cette citation vétérotestamentaire est intéressante, car elle confirme l’idée selon laquelle les gens du temps d’Esdras étaient confrontés au même problème que le nôtre aujourd’hui. Il y avait déjà un fossé culturel et temporel entre le peuple d’Israël de jadis, appartenant à la période préexilique (avant l’exil de Babylone), et les Juifs de retour de l’exil babylonien. Esdras devait lire, s’arrêter, expliquer, commenter et actualiser le texte, afin qu’il fasse sens à nouveau pour le peuple, comme il faisait sens pour le peuple d’autrefois. Avant même l’arrivée du Nouveau Testament (N.T.) et de l’avènement du Christ et de l’Église, l’exégèse et l’herméneutique étaient nées, et ce, dans le but de combler un fossé entre le texte ancien et le lecteur contemporain. Combien plus, aujourd’hui, ce fossé est-il grand ? Bien sûr, nous n’entendons pas exagérer ce fossé, mais seulement bien en prendre conscience dans notre démarche.

L’herméneutique juive

De son côté, le judaïsme a développé diverses approches herméneutiques conservées aujourd’hui dans une variété d’ouvrages. L’interprétation juive est principalement caractérisée par une approche littérale, midrashique et allégorique du texte2. On retrouve ces types d’interprétation dans divers écrits juifs anciens, notamment dans les Targums (traduction et interprétation de la loi). On y retrouve généralement deux types de contenus : 1) des Halakah, qui servent principalement à régulariser la loi et 2) des Haggadah, qui proposent plutôt des interprétations inspirationnelles des récits et des Proverbes. On peut facilement percevoir le premier comme une sorte de commentaire explicatif de la loi et de son application, et l’autre comme une homélie spirituelle et inspirante.

On retrouve ces deux types de contenus (Halakah et Haggadah) principalement dans trois ouvrages : 1) La Mishna, il s’agit d’un commentaire rabbinique oral qui est passé à l’écrit aux alentours de 200 apr. J.-C., composé d’un contenu majoritairement Halakah; 2) Le Talmud palestinien et babylonien (aussi connu sous le nom de Guemara)3 et 3) La Midrash, tout comme un commentaire moderne, elle contenait des interprétations de manière exposée des Écritures, c’est-à-dire, verset après verset. Cette fois, son contenu était majoritairement Haggadah4.

Cette démarche nous permet déjà, dès les origines de l’interprétation de la Bible, de constater une conscience de la difficulté d’interpréter le texte strictement de façon littérale premier degré, et donc le besoin ressenti d’une interprétation plénière du texte biblique. En effet, les premiers interprètes juifs comprenaient bien que la Bible n’était pas qu’un simple livre d’histoire. Les récits qu’elle raconte ne veulent pas être compris comme de simples rapports historiques ou événementiels. Il est clair qu’ils aient été sélectionnés et servent à communiquer quelque chose de plus grand. Toutefois, sans posséder l’aboutissement de la révélation en Jésus, il est normal de chercher ailleurs ce que ces textes semblent vouloir communiquer. Finalement, on y trouve aussi la difficulté d’interpréter l’ensemble comme un tout cohérent, et donc la difficulté de développer une méthode unifiée et efficace. C’est afin de répondre à cette problématique que certains rabbins, comme Rabbi Hillel (1er siècle av. J.-C.), ont tenté d’établir, mais sans succès, des règles afin d’instituer des critères plutôt que de laisser l’interprétation être totalement arbitraire5.

L’interprétation juive hellénistique

À la suite des conquêtes d’Alexandre le Grand, le grec remplaça l’hébreu. En 270 av. J.-C., l’Ancien Testament (A.T.) fut traduit en grec, cette traduction porte le nom de Septante. L’effervescence philosophique et culturelle d’Alexandrie produisit en son sein une école d’interprétation juive de la Septante, dont le personnage Philon d’Alexandrie en est un fidèle représentant. Sa méthode d’interprétation allait à jamais influencer l’histoire de l’interprétation de la Bible. L’école d’Alexandrie s’enracine dans la philosophie platonicienne et utilise la méthode allégorique pour interpréter l’A.T. Platon croyait que la véritable réalité était cachée derrière ce que l’homme pouvait superficiellement percevoir par l’œil physique. Appliqués à l’écriture, les tenants de cette école croyaient que le véritable sens de l’A.T. était caché derrière ses mots écrits6. Cette étape marque la naissance de la signification dichotomique de la Parole, c’est-à-dire, qu’elle possèderait un sens physique, puis un sens spirituel.

L’allégorie peut être définie ainsi : « Dire quelque chose d’autre que ce que l’on peut lire dans l’écrit »7. Cette approche permet de libérer un texte de toute emprise culturelle, et donc une meilleure appropriation par d’autres cultures que celle qui l’a produit. L’allégorie était, par exemple, utilisée afin de dédramatiser le contenu bien souvent horrible que l’on retrouvait dans les récits mythologiques grecs. L’allégorie permettait de dépasser le sens vulgaire des actions commises par les dieux et de leur trouver des sens symboliques utiles8.

Philon et l’école d’Alexandrie ont compris le besoin des Juifs d’avoir recours à une interprétation plus significative du texte biblique. Ce dernier désirait aussi démontrer au monde gréco-romain la grande valeur des Écritures9. Cependant, la méthode développée est subjective et dépend plus de la philosophie platonicienne que de la Bible elle-même. La philosophie grecque devient donc une intruse qui parasite le texte biblique.

L’ère apostolique

Enfin, Jésus est le point tournant d’une nouvelle manière d’interpréter l’A.T. Pour les écrivains du N.T., tout doit maintenant être lu et compris à travers la personne de Jésus, de son œuvre et de son message. Il s’agit d’une réinterprétation totale de la Bible. Jésus interprétait l’ensemble des Écritures à la lumière de son œuvre (Lc 24.27). La Bible elle-même est considérée comme un témoignage en faveur de Jésus (Jn 5.39). Finalement, ce sont les apôtres, tels que Paul (Rm. 3.21-22; 1Co. 2.2) et Pierre (1P. 1.10-11), qui interprètent les Écritures en fonction de Jésus afin de pouvoir exhorter et avoir un impact sur les communautés chrétiennes.

La méthode d’interprétation apostolique est caractérisée par trois principes d’herméneutique fondamentale : 1) Jésus est l’accomplissement de l’A.T. (Lc 4.18-21; 7.21-23; Mc 1.15). L’approche est aussi essentiellement typologique (les événements, objets et thématiques de l’A.T. renvoient à l’histoire du salut dont Jésus est l’accomplissement ultime); 2) Le second principe est celui de l’interprétation historico-contextuelle. Chaque citation de l’A.T. est d’abord interprétée comme un événement littéral et historique, puis contextualisée aux circonstances actuelles du lecteur. Par exemple, David est considéré comme un véritable roi historique dans l’histoire d’Israël, mais le récit de sa vie sert d’illustration au véritable Roi du monde : Jésus. Rapidement, on constate qu’il y a une différence majeure entre l’allégorie et la typologie. En effet, ce n’est pas l’imagination et les choix arbitraires du lecteur, comme pour l’allégorie, qui permettent de produire du sens, mais c’est la personne et l’œuvre du Christ qui servent de règle d’observation afin d’établir des correspondances et des typologies. Ce nouveau concept vient régulariser grandement l’interprétation; 3) Finalement, le but est toujours pratique. Les interprétations du N.T. ont pour but de répondre à des situations de l’Église primitive en fournissant des applications pratiques (Rom. 9.25-26; 1Cor. 9.9).

La méthode des apôtres est donc plus rigoureuse qu’il y paraît. L’approche apostolique est donc essentiellement 1) christocentrique-typologique, 2) historico-contextuelle et 3) pratique. Cela correspond exactement aux besoins quotidiens de nos prédications modernes.

L’ère patristique (95-600)

Étant confrontée à de nouveaux problèmes, l’herméneutique des pères de l’Église s’est ajustée. L’Église grandit de plus en plus et doit maintenant s’organiser. Son mandat devient donc celui d’éclaircir, de développer et d’articuler ses doctrines, croyances, pratiques et liturgies. Au départ, ce sont plusieurs factions de l’Église qui voient le jour aux quatre coins du monde connu. Certains mouvements entraineront un grand nombre d’adeptes dans une multitude d’hérésies. Au début, c’est particulièrement contre les Juifs hostiles au christianisme, ainsi que contre les judaïsants que l’Église doit répondre. Puis viennent les Gnostiques (sectes à mystères) et les Montanistes (des hyper-charismatiques qui mettaient l’emphase sur la prophétie et recevaient de nouvelles révélations), que doivent se défendre les pères de l’Église. C’est donc au fil du temps, et systématiquement en réponse en une nouvelle hérésie que l’Église développe graduellement et progressivement sa théologie. La doctrine de la trinité ou bien celle du canon biblique en sont de bons exemples.

L’école d’Alexandrie et celle d’Antioche (150-400)

Tout comme l’école juive d’Alexandrie, une école d’interprétation chrétienne vit le jour. La méthode allégorique était similaire à celle de Philon et fut popularisée par Origène. Ce dernier conserva les deux sens de Philon : 1) le sens physique et 2) le sens spirituel. Il ajouta le sens moral. L’allégorie chrétienne d’Alexandrie se distinguait donc de l’allégorie juive par sa recherche dans le texte de trois sens : 1) le sens littéral/historique; 2) le sens spirituel/doctrinal et 3) le sens moral/éthique.

Afin d’illustrer la méthode, prenons l’exemple de la ville de Jérusalem. Le sens littéral voit en Jérusalem l’ancienne ville historique d’Israël. Le sens spirituel y voit une représentation de l’Église d’aujourd’hui. Le sens moral y voit l’exemple d’une société idéale à laquelle il faudrait aspirer. Éventuellement, la période médiévale va rajouter un quatrième sens, dit « anagogique », qu’on appelle aussi le sens eschatologique (qui concerne les choses de la fin). Ce dernier sens voit en Jérusalem le ciel10.

À celle de l’allégorie, une voie alternative vit le jour, celle de l’école d’Antioche11. La méthode de l’école d’Antioche, popularisée par Théodore et Jean de Chrysostome, s’intéresse davantage à l’interprétation historico-grammaticale du texte biblique. Pour cette école, l’interprétation spirituelle doit rester attachée au sens historique. L’histoire a malheureusement favorisé l’allégorie comme principale méthode d’interprétation de l’Église.

Augustin d’Hippone (354-430) essaya de créer une approche synthétique des deux écoles12. Ce dernier croyait en l’importance d’étudier un texte biblique de manière historique, et aussi de manière textuelle avec sa grammaire et sa syntaxe. Cependant, il reconnaissait aussi le besoin d’une interprétation qui dépasse le sens littéral du texte. Il s’opposait toutefois aux interprétations arbitraires, il voulait établir des critères rigoureux. Augustin maîtrisait l’art de la rhétorique gréco-romaine, et il théorisa l’importance de l’analyse linguistique afin de ne pas faire dire n’importe quoi au texte biblique.

« La dimension sémiotique de la théorie interprétative augustinienne libère le lecteur des textes bibliques à la fois d’une lecture trop littérale, et des dangers d’une lecture allégorique arbitraire; on pousse le lecteur vers une perspective de lecture théologique fécondée par les textes bibliques eux-mêmes. »13

En cela, Augustin fut un grand précurseur de l’exégèse moderne et post-moderne. Beaucoup de ses idées furent reprises et développées dans le dernier siècle. Il est considéré comme le grand-père de la sémiotique moderne.

Le Moyen Âge (600-1517)

Un peu à l’image de la bataille entre Beta et VHS ou celle de HDVD et Blu-ray, qui virent gagner respectivement VHS et Blu-ray, c’est la méthode de l’allégorie qui devient l’outil de prédilection de l’Église romaine14. Puisque la Bible n’est pas accessible linguistiquement et culturellement au peuple, c’est l’Église qui préserve le monopole de l’interprétation. Il va sans dire que l’interprétation qui en est faite à ce moment de l’histoire sert principalement les intérêts de l’Église romaine, et permet de préserver son plein pouvoir sur le peuple.

Trois approches prédominent durant cette grande période : 1) Puisque le besoin premier est de maintenir la doctrine catholique, les interprétations traditionnelles et doctrinales prévalent (Par exemple, le Catena compile les interprétations des pères de l’Église15. On retrouve aussi le Glossa Ordinaria, qui est le commentaire standard médiéval de la Bible16); 2) La méthode d’interprétation médiévale est essentiellement allégorique, à la différence, tel que nous l’avons précédemment mentionné, qu’elle ajoute un nouveau sens : le sens anagogique; 3) La fin de la période médiévale témoigne du déclin de la méthode allégorique pour être graduellement remplacée, à l’approche de la pré-renaissance, par la méthode scholastique. La redécouverte des philosophes, tel qu’Aristote, poussa les théologiens à user de la raison plutôt que de la subjectivité de l’allégorie afin de développer des outils exégétiques. Thomas d’Aquin en est un fier représentant17.

Conclusion

Alerte aux divulgâcheurs, à l’approche de la réforme protestante, l’histoire de l’interprétation est sur le point de changer à tout jamais. Arrêtons-nous ici pour l’instant et reprenons ce bref survol de l’histoire avec cet épisode incroyable lors d’un prochain article.

Les défis de l’herméneutique, article 2, partie 1


1. Pour un résumé de l’histoire de l’interprétation nous proposons l’exposé fait dans William W. Klein (et al.), Introduction to Biblical Interpretation, p. 21-51, qui présente de manière élégante et concise les grands enjeux historiques de l’herméneutique chrétienne. Pour une présentation plus exhaustive, nous recommandons les quatre volumes de Donald K. McKim, L’interprétation de la Bible au fil des siècles, Volume 1-4, (OR), Excelsis, Charols, 2011.
2. Werner G. Jeanrond, Introduction à l’herméneutique théologique, p. 26.
3. La combinaison de la Mishna et de la Guemara donne naissance au fameux Talmud.
4. André Robert et Alphonse Tricot, Initiation biblique, Desclée, Paris, 1959, p. 451; Voir aussi William W. Klein (et al.), Introduction to Biblical Interpretation, p. 23.
5. Werner G. Jeanrond, Introduction à l’herméneutique théologique, p. 26
6. A. Robert et A. Tricot, Initiation biblique, p. 459
7. Donald K. McKim (dir.), L’Interprétation de la Bible au fil des siècles, Vol. I, Excelsis, Charols, 2005, p. 18
8. Donald K. McKim (dir.), L’Interprétation de la Bible au fil des siècles, p. 18.
9. Werner G. Jeanrond, Introduction à l’herméneutique théologique, p. 27
10. Matthieu Sander, Introduction à l’herméneutique biblique, p. 78.
11. Donald K. McKim (dir.), L’Interprétation de la Bible au fil des siècles, Vol. I, p. 19-26
12. Werner G. Jeanrond, Introduction à l’herméneutique théologique, p. 35.
13. Werner G. Jeanrond, Introduction à l’herméneutique théologique, p. 36
14. A. Robert et A. Tricot, Initiation biblique, p. 463
15. A. Robert et A. Tricot, Initiation biblique, p. 466.
16. Donald K. McKim, L’interprétation de la Bible au fil des siècles, Vol. I, p. 109; Voir aussi William W. Klein (et al.), Introduction to Biblical Interpretation, p. 38-39.
17. Donald K. McKim (dir.), L’Interprétation de la Bible au fil des siècles, Vol. I, p. 29-30 et 107-116.
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