Les méthodes littéraires d’interprétation de la Bible (partie 1)

Parfois appelée « le monde du texte », cette approche s’intéresse à la dimension littéraire de l’interprétation. Le terme synchronique est aussi utilisé afin de définir ce type d’approche. Celui-ci est constitué du grec ancien sync et chronos, ce qui signifie : « en temps ». L’approche synchronique considère le matériau biblique dans sa forme finale. Le slogan bien connu de l’approche synchronique est « l’auteur est mort ». Autrement dit, ce dernier n’est plus là pour expliquer le sens de son texte, alors il faut le chercher non pas du côté de l’histoire, mais dans le texte lui-même.

Certains chercheurs se limitent strictement aux méthodes de l’approche synchronique. Plusieurs raisons philosophiques les poussent à rejeter d’un bloc les approches historiques. Pour eux, l’histoire est un mauvais outil d’analyse, et ce pour plusieurs raisons : 1) Un auteur pourrait vouloir exprimer une idée et finalement son œuvre en exprime totalement une autre. Alors, pourquoi chercher à connaître son intention dans l’histoire et le passé ? Intéressons-nous seulement au texte maintenant. 2) Un auteur pourrait aussi exprimer inconsciemment dans le texte une idée qu’il n’avait pas consciemment en tête lors de sa rédaction. L’étude stricte de ce qui est seulement conscient et intentionnel de la part de l’auteur est donc trop limitée pour rendre compte de tous les sens d’un texte. 3) Le Saint-Esprit pourrait aussi permettre à un auteur d’exprimer plus dans un texte que ce qu’il avait lui-même en tête lors de sa rédaction. Ce sens serait donc contenu dans le texte, maintenant, et non dans l’histoire passée.

Mise en garde

Ces questions semblent pertinentes à se poser. Néanmoins, la critique historique reste importante afin de poser des balises qui nous retiennent des dérives. Toutefois, l’autorité finale qui détermine le sens d’un texte ne doit pas se trouver du côté des spéculations hypothétiques de l’histoire, ni de la subjectivité du lecteur moderne, mais bien du côté du texte lui-même, qui constitue une entité schématique stable. En d’autres termes, c’est la Parole qui doit avoir le dernier mot sur toute interprétation et non l’histoire ou le lecteur.

Les méthodes synchroniques

Plusieurs méthodes se réclament de l’approche synchronique : 1) L’analyse structurelle, cette dernière questionne l’intention rhétorique inhérente à l’utilisation de diverses structures poétiques typiquement sémitiques. C’est pourquoi elle porte aussi le nom d’analyse de la rhétorique sémitique. 2) L’analyse sémiotique (extension du structuralisme) tente de mettre à jour le sens de toute production littéraire en exposant ses structures, dites profondes, qui produisent les sens fondamentaux. 3) L’analyse narrative, s’intéresse à l’effet esthétique produit par divers choix de mise en récit sur le lecteur. 4) L’analyse de la rhétorique gréco-romaine permet d’étudier les techniques de persuasion des discours du Nouveau Testament suivant les modèles prescrits par les discoureurs grecs et romains.

Tous ces outils s’intéressent à des niveaux littéraires supérieurs plutôt que de la simple syntaxe et grammaire du texte. Par exemple, l’analyse narrative observe la grammaire d’un récit. Certains éléments sont nécessaires pour qu’une histoire soit racontée, tout comme certains éléments sont nécessaires pour assurer la logique d’une phrase. Il en va de même pour l’analyse rhétorique qui observe la grammaire des discours de persuasion. En ce sens, on pourrait qualifier ces outils de méta-grammaire ou de méta-exégèse du texte et qualifier l’analyse textuelle (l’analyse syntaxique, grammaticale, verbale et sémantique) de micro-grammaire ou micro-exégèse du texte, car cette dernière s’intéresse aux éléments de sens qui constituent l’unité minimale de la phrase.

Qu’est-ce que l’analyse textuelle ?

Un peu comme la critique textuelle qui précède toute étude historique, l’analyse textuelle est une étape préliminaire à toute analyse littéraire. On peut imaginer cette étape comme la préparation d’un espace de travail en cuisine. Il est bon de réunir d’abord toutes les épices et tous les aliments, de les couper, de les peser, de les séparer et surtout, de bien les identifier sur les bols, portion par portion avant de passer au mélange et à la cuisson. C’est exactement la même chose, mais avec le texte biblique. Lors de l’analyse textuelle, nous séparons les phrases en propositions, nous prenons soin de bien les identifier, nous tentons aussi de comprendre le sens des mots employés ainsi que la structure des phrases et ce qu’implique le choix des verbes et des mots utilisés. Nous pourrions tout aussi bien nommer cette étape d’analyse linguistique du texte. La linguistique étudie le langage et comment ce dernier communique du sens, car on le sait, le langage est remarquablement simple et extraordinairement complexe à la fois1. Puisque nous travaillons essentiellement avec des traductions, il faut s’assurer de bien valider la syntaxe, la grammaire, les verbes et la sémantique de notre passage à l’aide d’une bonne méthode d’observation, de bons outils et d’un interlinéaire2.

La méthode

Pour la méthode en tant que telle, bien que parfois ces étapes peuvent facilement se chevaucher, on pourrait proposer trois étapes :

  1. L’analyse syntaxique (structure des phrases) : présenter sous la forme d’un schéma la structure syntaxique de votre passage (porter particulièrement attention aux prépositions, aux conjonctions et aux types de propositions) ;

     

  2. L’analyse grammaticale (verbale) : observer la grammaire (particulièrement le mode, le temps, l’aspect et la voix des verbes utilisés) ;

     

  3. L’analyse sémantique (le sens des mots) : approfondir le sens des mots-clés du texte (ex. mots répétés, inconnus, chargés théologiquement, ambigus et culturels) et chercher leur définition dans un dictionnaire biblique.

1. L’analyse de la syntaxe

Bien identifier tous les éléments d’une phrase peut être d’un grand secours lorsque vient le temps d’analyser un discours complexe telle une lettre de Paul. De la même manière, plus une recette est complexe et nécessite divers éléments, mieux il convient de les rassembler et les identifier soigneusement. Afin de suivre la suite logique des idées, il est important d’identifier les prépositions, les conjonctions de coordination ainsi que les subordinations. Par exemple, un coordonnant a pour objectif de relier deux idées, groupes de mots ou même des phrases.

En effet, une phrase peut être constituée d’un sujet, d’un prédicat et d’un complément seulement, mais il peut aussi se glisser une deuxième « petite phrase » dans une phrase principale. On appelle ces petites phrases des « propositions ». Lorsqu’une phrase est constituée d’une proposition complète, on dira qu’elle est « indépendante », comme dans l’exemple suivant : « L’ours monte dans les arbres ». À l’inverse, lorsqu’elle sera « dépendante », nous dirons qu’elle est subordonnée, comme dans l’exemple suivant : « L’ours monte dans les arbres, [parce qu’il a peur des hommes] »3. Le terme « parce que » introduit une deuxième phrase subordonnée causale à la principale.

Par où commencer ?

La première question à se poser est : « Combien y a-t-il de verbes dans la phrase ? »4. Cela permettra de savoir s’il s’agit d’une phrase complexe et, si oui, combien y a-t-il de propositions. Essayez par la suite de bien identifier le sujet ainsi que les compléments. Identifier les prépositions vous aidera grandement. Par exemple, Romains 3.24 dit : « Ils sont justifiés par sa grâce par le moyen de la rédemption qui est en Jésus-Christ ». Donc, « Ils sont justifiés », mais comment ? Gratuitement, par quoi ? Par sa grâce. Ensuite, par quel moyen le sont-ils ? Par le moyen de la rédemption. Par qui cette rédemption est-elle accomplie ? Il s’agit bien sûr de Jésus-Christ5.

Une fois que vous avez compris comment fonctionnent les propositions, observez les conjonctions de coordination et de subordination. Demandez-vous comment les propositions sont-elles reliées entre elles et comment les phrases et les paragraphes sont eux aussi reliés entre eux. L’observation des mots de liaison permettra de suivre la logique de la pensée. Par exemple, une conjonction est un terme servant à lier divers éléments textuels tels des mots, des propositions, des phrases ou des paragraphes. Comme le définit la grammaire de Wallace, la conjonction est « un mot de liaison permettant d’assembler les différentes parties et unités de pensée du langage6 ». C’est justement parce qu’elles servent à organiser le langage qu’une bonne exégèse dépend d’une bonne maîtrise des conjonctions.

On retrouve dans la Bible des idées équivalentes reliées à l’aide de conjonctions de coordination. Prenons l’exemple de Jean 1.1 « Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu » (Ἐν ἀρχῇ ἦν ὁ λόγος, καὶ ὁ λόγος ἦν πρὸς τὸν θεόν). Dans cet exemple, on retrouve deux propositions indépendantes reliées par le και qui assure la fonction de conjonction de coordination7. Or, dans Jean 3.16 « Car Dieu a tant aimé le monde, qu‘il a donné son Fils unique afin que quiconque croit… » (οὕτως γὰρ ἠγάπησεν ὁ θεὸς τὸν κόσμον, ὥστε τὸν υἱὸν τὸν μονογενῆ ἔδωκεν, ἵνα πᾶς ὁ πιστεύων…), on retrouve cette fois deux conjonctions de subordination. D’abord, ώστε, qui permet d’introduire le résultat de l’amour de Dieu pour le monde, c’est-à-dire, offrir son propre Fils unique. Puis le ἵνα, qui sert cette fois à exprimer le but du don de Dieu, « afin que quiconque croit… ». Il ne faut pas oublier que ce verset, si cher au cœur des évangéliques, est aussi introduit pas une conjonction de coordination (γάρ), qui vient le relier aux versets précédents, Jean 3.14-158.

On procède à l’analyse linguistique d’un texte biblique de la même manière que l’on mange un éléphant : une bouchée à la fois. Il faut donc y aller étape par étape. Premièrement, l’étudiant doit apprendre à maîtriser les éléments de base des grammaires grecques et hébraïques pour débutants. Une fois les notions élémentaires bien acquises, l’étudiant peut et doit se tourner alors vers des ouvrages qui s’intéressent davantage à l’exégèse et à la syntaxe.

Pour l’apprentissage élémentaire du grec et de l’hébreu, nous conseillons ces ouvrages respectivement :

  • Létourneau, Pierre, Initiation au grec du Nouveau Testament, MédiasPaul, Montréal, 2010.
  • Van Pelt, Miles V., et Gary D. Pratico, Hébreu biblique de base: Grammaire, Impact Académia, 20209.

Une fois que l’élève maîtrise les notions de base, ces manuels lui permettront de développer de bons réflexes exégétiques :

  • Wallace, Daniel, Grammaire grecque : Manuel de syntaxe pour l’exégèse du Nouveau Testament, Excelsis, Charols, 2015.
  • Nicole, Émile, Hébreu biblique : Manuel de lecture cursive, Édifac, Vaux-sur-Seine, 2019.

Pour faire simple

Il est vrai que l’analyse syntaxique peut parfois s’avérer compliquée pour certains. Au minimum, le jeune étudiant peut se contenter, à l’aide d’un code de couleurs, de bien identifier les composantes essentielles du texte. Bien qu’un code de couleurs ne soit pas aussi rigoureux qu’une bonne analyse syntaxique, il permet néanmoins d’identifier les sujets, les verbes d’une phrase ainsi que la nature de certains compléments. C’est le minimum à faire lorsqu’on prétend vouloir étudier en profondeur le sens d’un texte biblique. Pratiquons un petit exemple avec le texte de Jacques 1.2-4.

Lorsqu’on regarde la disposition syntaxique de ces deux phrases, on se rend compte que la proposition principale de la première phrase est « Considérez comme un sujet de joie complète ». Trois subordinations viennent soutenir cette déclaration. A) La première répond à la question « à qui » c’est adressé, c’est-à-dire aux frères. B) La seconde proposition indique le « quand », c’est-à-dire durant les épreuves. C) La dernière répond à la question du « pourquoi », car elle produit l’endurance, tout comme un athlète qui entraine son cardio, le chrétien a besoin d’endurance et de travailler s’il veut arriver à la fin de la course de la vie. La proposition principale de la deuxième phrase est « il faut que l’endurance accomplisse son œuvre ». Deux subordinations viennent soutenir cette déclaration. La première répond à la question « pourquoi » ; pour notre épanouissement et accomplissement. La deuxième répond à la question « comment » ; de sorte que nous n’ayons aucun manque10.

Quelques conseils pratiques

Voici quelques conseils pour vous aider à mieux cerner les contours des structures syntaxiques de votre passage. 1) Tentez de répondre aux questions : « qui », « quand », « quoi », « où », « comment » et « pourquoi ». 2) Observez les prépositions, les conjonctions, les adverbes, les noms et les adjectifs. 3) Portez attention aux mots de liaison. Les expressions comme « en effet » et « donc » révèlent le fil d’une pensée. Les expressions de type : « en effet », « car », « parce que » ou « puisque » annoncent généralement le motif. Alors que les expressions de type : « donc », « c’est pourquoi », « en conséquence », « pour cette raison » ou « ainsi », précèdent le motif de la phrase. Par exemple, dans la phrase « Restons attachés à la foi, car [nous avons un grand prêtre]… », la raison de rester attaché à la foi nous est révélée après le « car ». Ou bien, dans « [Je vous envoie au milieu des loups], donc, soyez prudents », c’est l’inverse, la raison pour laquelle il faut être prudent est donnée avant le donc11.

2. L’analyse des verbes

Il faut prendre en compte certaines spécificités propres aux verbes du grec et de l’hébreu. Par exemple, pour l’hébreu, il faut savoir que la forme des verbes n’indique pas le temps, mais plutôt son état. Un verbe au parfait signifie une action accomplie et un verbe à l’imparfait quant à lui signifiera une action pas encore terminée. C’est donc par logique et grâce au contexte que l’on comprendra qu’une action déjà accomplie se situe dans le passé et une action pas encore accomplie se situe dans le présent ou le futur. Pour le grec, le présent représente le temps de l’action continue et répétée. L’imparfait permet d’exprimer une action répétée, mais dans le passé. L’aoriste, quant à lui, exprime bien souvent une action accomplie une fois pour toutes. L’impératif présent permet de commander des actions qui seront continues et répétées, à l’inverse, l’impératif aoriste appellera des actions définies et précises. L’impératif présent négatif, quant à lui, est utilisé pour stopper une action en cours alors que l’impératif aoriste négatif demande qu’une action n’ait jamais lieu. Finalement, le parfait permet d’exprimer une action du passé dont les effets se font encore sentir dans le présent12.

Nous sommes bien conscients que parler d’analyse grammaticale a souvent pour effet de révulser les jeunes étudiants pour lesquels l’apprentissage du français fut pénible. Néanmoins, laissez-nous vous démontrer, par quelques petits exemples, combien prendre le temps d’observer la nature des verbes employés peut relativement ouvrir et préciser le sens d’un texte biblique.

Matthieu 28.19-20

Si l’on fait l’exercice en observant les verbes du fameux texte de la grande commission de Jésus en Matthieu 28.19-20, on se rend bien compte de certaines particularités qui n’apparaissent pas toujours dans les traductions, notamment que le verbe principal est un impératif « faites des disciples » et que tous les autres sont participiaux. Qu’est-ce que cela veut dire pour nous ?

Eh bien, on pourrait croire à tort que ce passage nous donne une série d’impératifs : « Allez ! Faites des disciples ! Enseignez-les ! Baptisez-les ! et ainsi de suite… », alors qu’en réalité, il n’y a qu’un seul ordre, tous les autres verbes ne servent qu’à décrire comment on fait des disciples : « Faites des disciples en allant de par votre chemin, en les enseignant et en les baptisant… ». Seulement l’ordre de faire des disciples est prescriptif, la manière est descriptive.

Quelques conseils pratiques

À l’aide de bons outils tels un interlinéaire et une grammaire appropriée, il faut porter attention à trois éléments verbaux. 1) Portez une attention aux temps des verbes (passé, présent et futur).
2) Portez une attention à l’étendue de l’action dans le temps (action accomplie une fois, action en continu, action passée ayant un impact présent). 3) Identifiez si l’action est passive ou active.

3. L’analyse sémantique

Il n’est pas aussi aisé que l’on pourrait le croire de bien définir les mots utilisés dans une phrase. C’est justement l’art de la linguistique que d’arriver à bien définir le sens des mots, non pas en les décortiquant comme des objets d’étude historique, mais en observant les relations qu’ils entretiennent ensemble. Historiquement, la philologie, très prisée dans les études exégétiques, valorisait une étude diachronique du mot, c’est-à-dire, qu’elle cherchait premièrement le sens du mot dans son origine et sa composition. Cependant, connaître l’origine d’un mot ou même la manière dont il est composé n’est jamais garant de son sens, ce sont les relations entre les mots dans un texte qui dictent sa valeur et son sens13. Reprenons l’exemple de l’introduction. Dans la phrase « Il m’a fait un coup de cochon ! », le lecteur a beau étudier l’étymologie ou l’histoire du mot cochon, la clé de compréhension se trouve dans les liens que le mot cochon entretient avec les autres mots. Dans le contexte, on comprend aisément que « cochon » ne possède pas la valeur littérale d’un animal de la ferme.

Erreurs de sémantique communes des prédicateurs

Dans son excellent ouvrage « Erreurs d’exégèse », le théologien et exégète Donald A. Carson traite des erreurs fréquentes d’exégèse que l’on peut faire lors d’analyse syntaxique, grammaticale et sémantique des textes bibliques. Son livre est précis et pointilleux, mais dans le cadre de cet article, certaines des erreurs de traduction les plus récurrentes chez les prédicateurs méritent d’être résumées ici.

a) L’erreur de racines

Les prédicateurs ont cette tendance à décortiquer l’étymologie d’un mot. Ils expliquent son origine, le sens de son préfixe, celui du radical et puis du suffixe. Souvent, ces sens sont ensuite extrapolés. L’étymologie d’un mot devrait-elle avoir autant de place dans un sermon ? Prenons l’exemple du mot anglais « nice » (agréable en français). À l’origine, ce mot voulait dire ignorant. Il n’y a donc aucun lien avec son emploi moderne qui est « agréable ». Ou bien, il ne sert strictement à rien de vouloir décortiquer le mot « butterfly » (papillon en français) pour en tirer la conclusion hasardeuse qu’il s’agit de mouche à beurre. Je ne dis pas que l’étymologie d’un mot n’est pas utile dans une étude, seulement que ce n’est pas le dictionnaire qui nous donne l’emploi d’un mot, mais le contexte et la manière dont ce dernier est employé dans ce contexte.

Par exemple, dans la Bible, on retrouve parfois les mots « agapéo » et « philéo » pour parler d’amour. Tout bon dictionnaire vous dira qu’il y a une nuance dans le type d’amour entre ces deux termes. En réalité, à l’époque de Jésus, cette nuance avait totalement disparu. Ces deux termes sont virtuellement interchangeables et il n’y a donc pas de nuance significative perceptible entre l’usage de l’un ou l’autre de ces deux termes. Par exemple, en Jean 3.35, le Père aime le Fils de manière « agapéo » et juste un peu plus loin, en Jean 5.20, le Père aime maintenant ce même Fils de manière « philéo ».

b) L’erreur de l’anachronisme sémantique

Cette erreur arrive lorsqu’un lecteur moderne attribue à un mot ancien un sens moderne ; il s’agit alors d’un anachronisme. Puisque la Bible est traduite en français, il est facile de constamment penser que l’on comprend tous les mots que nous y retrouvons. Parfois, lorsqu’on regarde dans un dictionnaire un mot en grec ou en hébreu, on peut penser à tort qu’on le maîtrise bien. Par exemple, lorsque Romains 1.16 parle de la Bonne Nouvelle de Jésus qui a le « pouvoir » de sauver, on remarque en grec que le mot employé est « dynamis ». Puisque le mot s’apparente à dynamite, nombreux sont les prédicateurs qui sautent sur l’occasion pour parler de la puissance de la dynamite comme une comparaison avec l’Évangile. Paul a-t-il pensé à de la dynamite ? Bien sûr que non. Le danger c’est que les gens aiment ce genre de liens comme si quelque chose de profond à caractère ésotérique avait été prononcé. Non seulement ce lien est profondément anachronique, mais en plus, l’image ne traduit pas bien le sens de la phrase. La dynamite a pour but de détruire et mettre en pièces, alors qu’on parle plutôt ici d’une puissance qui sauve et ressuscite de la mort14.

c) L’erreur de la fausse supposition à propos d’une signification technique

Cette erreur arrive lorsque l’interprète suppose à tort qu’un mot technique, comme mot chargé théologiquement, porte toujours le même sens partout où il est utilisé. Par exemple, lorsque Paul parle de « justification » dans une épître, le lecteur ne peut s’empêcher d’importer dans le texte tout un univers de réflexions présupposées. Or, l’utilisation que Paul fait de ce mot n’est pas toujours la même. Parfois, il s’agit d’un acte passé et entièrement accompli, celui où Jésus nous déclare justes devant Dieu à la croix une fois pour toutes. Et parfois, il l’utilise comme un synonyme de sanctification, c’est-à-dire, comme un processus de grâce où le péché perd progressivement son influence sur notre vie, c’est à nous d’être attentifs. Un même auteur peut utiliser un mot différemment, encore une fois, c’est le contexte et l’emploi spécifiques qui nous indiquent comment comprendre le sens d’un mot.

En conclusion

Nous terminons en recommandant chaudement aux jeunes pasteurs de posséder un bon dictionnaire comme Le Grand dictionnaire de la Bible des éditions Excelsis ainsi qu’apprendre à faire bon usage des grammaires comme celle de Wallace. Il existe aussi une ressource importante, celle de la série de commentaires Zondervan Exegetical Commentaty of the OT and the NT (ZECOT — ZECNT), qui pour chaque passage de la Bible procède à une analyse syntaxique, grammaticale, verbale et sémantique minutieuse. Dans les prochains articles, nous traiterons des autres outils littéraires.


Cet article fait partie d’une série. Vous pouvez lire les articles précédents en suivant ces liens :

1. Pourquoi interpréter?
2.1 D’où vient l’herméneutique moderne (partie 1)
2.2 D’où vient l’herméneutique moderne (partie 2)
3. Les critères d’une herméneutique proprement évangélique
4. Existe-t-il une bonne méthode d’interprétation ?
5.1 Les méthodes historiques d’interprétation de la Bible (partie 1)
5.2 Les méthodes historiques d’interprétation de la Bible (partie 2)


  1. Douglas Mangum and Josh Westbury, Linguistics & Biblical Exegesis, Lexham Press, Bellingham, 2017, p. 1. 
  2. Walter C. Kaiser Jr, Toward an Exegetical Theology: Biblical Exegesis for Preaching and Teaching, Baker Academic, 1998. 
  3. Douglas Mangum and Josh Westbury, Linguistics & Biblical Exegesis, p. 41. 
  4. Notez qu’en grec et qu’en hébreu il est possible de formuler une proposition sans verbe du genre grand le roi (= Le roi [est] grand). Dans ce cas, il faut reconnaître que c’est une proposition sans verbe et identifier le sujet (le roi) et le prédicat (grand). 
  5. Alfred Kuen, Comment interpréter la Bible, Emmaüs, Saint-Légier, 2005, p. 65. 
  6. Daniel Wallace, Grammaire grecque : Manuel de syntaxe pour l’exégèse du Nouveau Testament, Excelsis, Charols, 2015, p. 745. 
  7. Daniel Wallace, Grammaire grecque, p. 745. 
  8. Daniel Wallace, Grammaire grecque, p. 745. 
  9. Un manuel de grammaire de référence serait : Jouon, Paul, Grammaire de l’hébreu biblique, Institut Biblique Pontifical, Rome, 1947. 
  10. William Klein, Craig Blomberg et Robert Hubbard, Introduction to Biblical Interpretation, p. 207-208. 
  11. Nigel Beynon et Andrew Sach, Creuser l’Écriture : Une boîte à outils pour déterminer le sens d’un passage biblique, Éditions Clé, Lyon, 2016, p. 54. 
  12. Alfred Kuen, Comment interpréter la Bible, p. 66. 
  13. Douglas Mangum and Josh Westbury, Linguistics & Biblical Exegesis, p. 6. 
  14. Donald A. Carson, Erreurs d’exégèse, p. 32-34. 
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Simon Jean-Claude Archambault est pasteur des ados depuis 10 ans au Canada et depuis 5 ans à l’Église le Portail dans la ville de Laval ainsi que responsable des formations bibliques. Détenteur d’un baccalauréat en Théologie Biblique de l’ITF et d’une maîtrise en exégèse de l’UdeM, il est aussi membre du Concile SOLA et professeur d’herméneutique à l’Institut de Théologie pour la Francophonie (ITF).

Published By: Simon Archambault

Simon Jean-Claude Archambault est pasteur des ados depuis 10 ans au Canada et depuis 5 ans à l’Église le Portail dans la ville de Laval ainsi que responsable des formations bibliques. Détenteur d’un baccalauréat en Théologie Biblique de l’ITF et d’une maîtrise en exégèse de l’UdeM, il est aussi membre du Concile SOLA et professeur d’herméneutique à l’Institut de Théologie pour la Francophonie (ITF).