Les méthodes historiques d’interprétation de la Bible (partie 1)

Introduction

Dans cet article, nous considérons les approches s’intéressant à l’histoire de l’auteur et à la formation du texte biblique. Nous parlons donc du « monde de l’auteur », aussi appelé le « monde derrière le texte ». L’idée est de mieux comprendre comment l’histoire d’un texte biblique peut nous aider à comprendre son message.

Cette grande catégorie de méthodes porte aussi le nom d’approche « diachronique ». Le terme « diachronique » est constitué du grec ancien « dia » et « chronos », ce qui signifie : « à travers le temps ». L’approche diachronique considère le matériau biblique comme un ouvrage inscrit dans le temps, et donc marqué par l’histoire de son propre développement. L’analyse historique permet de comprendre comment ce développement informe le sens du texte. Autrement dit, en apprendre davantage sur l’histoire de la composition d’un texte permet de mieux comprendre le texte lui-même. Au niveau académique, quatre méthodes se réclament de l’approche historique que l’on appelle aussi méthode de l’historico-critique : 1) la critique textuelle ; 2) la critique des sources ; 3) la critique rédactionnelle et 4) la critique des formes.

Les évangéliques peuvent bénéficier de plusieurs éléments pratiques de ces approches. Comme mentionné dans les derniers articles, une appropriation évangélique est possible pourvu que l’interprète aborde le texte avec les bonnes dispositions, la bonne attitude et conserve, tout au long de l’étude, les bons présupposés (voir l’article numéro 4). Traditionnellement, les évangéliques se réclament d’une approche « historico-grammaticale », c’est-à-dire, d’une approche qui tente de replacer le texte d’abord dans son contexte historique, pour ensuite s’intéresser davantage à sa textualité. En ce sens, puisque les méthodes historiques ont pour but d’informer ce « contexte historique » et les méthodes littéraires d’explorer les profondeurs de cette textualité, qui s’étend à des niveaux supérieurs à la simple syntaxe, nous croyons que la méthode évangélique peut très bien en profiter. Dans un premier temps, nous tenterons de résumer aussi brièvement que possible les différents outils historiques. Dans un second temps, nous proposerons une manière conviviale de les utiliser dans une étude biblique.

Pasteur prédicateur ou enseignant historien ?

Il va sans dire que la majorité des pasteurs ne possèdent aucune formation d’historien. Néanmoins, ces derniers doivent savoir lire, comprendre et partager des textes anciens. De plus, cette tâche qui revient généralement à des historiens est, pour un pasteur, à recommencer presque chaque semaine. Cet article n’entend pas remplacer une formation académique en science historique, ni encourager à en suivre une. La clé réside plutôt dans la manière de faire nos recherches. Il est possible de bénéficier du travail des experts, mais faut-il déjà comprendre les mécanismes de l’histoire en exégèse biblique. Vous allez donc remarquer qu’en conclusion, nous insisterons sur les bons outils à utiliser dans les différentes étapes de l’approche historique, ainsi que sur les bonnes questions à poser à ces outils, afin d’aider l’herméneute à débloquer le sens d’un texte.

1. La critique textuelle

La critique textuelle est probablement l’une des plus vieilles méthodes d’étude du texte biblique1. Il s’agit du champ disciplinaire en exégèse qui s’intéresse à l’étude de divers manuscrits des Écritures. Nous possédons une multitude de manuscrits que nous appelons « témoins ». Il arrive même que nous en découvrions davantage grâce à l’archéologie. C’est à travers la comparaison d’un grand nombre de manuscrits2 anciens que nous tentons de reconstituer le texte biblique le plus fiable et le plus prêt de l’original. Parfois, ces témoins sont découverts dans leur langue de composition, c’est-à-dire l’hébreu, l’araméen ou le grec; parfois, il s’agit tout simplement de traduction. La critique textuelle peut aussi, dans certains cas, user de sources indirectes telles des citations bibliques rabbiniques ou patristiques3. En fait, tous les moyens sont bons pour remonter le plus loin possible dans l’histoire de la transmission.

La critique textuelle est parfois reçue avec méfiance et suspicion dans certains cercles évangéliques. Afin de comprendre le bien-fondé de cette méthode, il est important de définir avec clarté certains présupposés. Nous ne possédons pas les textes originaux bibliques. Ce que nous avons entre les mains n’est que la reconstitution du texte faite à partir de copies de copies. Lors de la transmission des textes bibliques, certaines erreurs mineures ont pu s’introduire. On parle de deux types d’erreurs : 1) intentionnelles, tel l’ajout d’une portion afin d’harmoniser un texte difficile à un autre texte biblique et 2) non-intentionnelles, telle l’omission ou la répétition accidentelle d’une portion de texte4. Toutefois, aucune de ces erreurs n’affecte le sens d’une doctrine essentielle.

Comment fonctionne la critique textuelle ?

Lorsqu’il porte son choix sur l’étude d’un texte pour un sermon, à un stade élémentaire de la recherche, le pasteur peut au moins prendre conscience de la présence de variantes dans son texte. Les variantes sont justement ces petites portions de texte, qui grâce à la comparaison de témoins, sont jugées douteuses par la critique textuelle. Elles sont généralement signalées par des crochets ([…]) dans le texte. Dans un deuxième temps, grâce à l’apparat critique d’une bonne Bible d’étude, le pasteur sera invité à juger de l’importance de la variante et de son influence sur l’interprétation du texte. Dans un dernier temps, le pasteur doit se questionner sur la meilleure approche pastorale à prendre dans une telle situation. Donc, pour une bonne étude, nous devons nous poser les questions suivantes : 1) le texte contient-il des variantes ? (Elles sont généralement présentées entre crochets […] dans le texte biblique) ; 2) le cas échéant, sont-elles largement attestées ? ; 3) le cas échéant, ont-elles une influence sur l’interprétation du texte ? ; 4) le cas échéant, peut-on éviter de le mentionner dans le message ? ; 5) le cas non échéant, il faut convenir d’une stratégie pastorale (qui est sensible au plus faible dans la foi), afin d’aborder convenablement la situation sans créer aucune confusion.

Comment évaluer une variante ? Une variante est une portion du texte biblique, présentée entre crochets, que l’histoire de la critique historique qualifie de douteuse. Il faut maintenant évaluer l’importance de la variante. Parfois, certaines variantes sont si douteuses qu’il vaut mieux ne pas leur attribuer d’importance dans notre interprétation. D’autres fois, elles sont peu douteuses, on peut donc se permettre de les considérer. Toutefois, aussitôt qu’un doute demeure, il faut considérer la portion comme douteuse, donc risquée pour soutenir une interprétation ou une doctrine. Il convient alors de se demander : 1) la variante est-elle reconnue dans quelques manuscrits ou dans plusieurs manuscrits ? ; 2) la variante est-elle reconnue dans de récents manuscrits ou dans les plus vieux manuscrits ? Les réponses à ces questions sont bien souvent fournies dans l’apparat critique des Bibles d’étude et dans les commentaires attentifs au texte et à l’histoire du texte. Si une ambiguïté concernant l’importance de la variante demeure, il est souvent conseillé de favoriser : 1) la version la plus courte, car la tendance des copistes avec le temps était d’ajouter au texte ancien (le principe « Lectio brevior ») et 2) la version la plus compliquée, car la tendance des copistes, encore une fois, était d’expliquer et d’harmoniser les textes difficiles (le principe « Lectio difficilior »)5.

Que fait-on, pastoralement parlant, lorsque nous avons une variante importante dans notre texte ?

Par souci pastoral, pour la majorité des cas de variantes, il convient de ne pas adresser de manière frontale la question lors d’une prédication. Cependant, quoi faire advenant le cas d’une variante jugée trop importante ? 1) S’il ne s’agit que d’un mot secondaire, il est possible de simplement le sauter lors de la lecture. Dans ce cas, si ce saut est remarqué par un membre de la congrégation, il viendra personnellement vous questionner. Il est plus facile d’expliquer cette réalité du texte biblique en personne sans créer de confusion. 2) S’il s’agit d’une portion trop importante pour la passer sous silence, il convient alors d’ouvrir une parenthèse sur la question des variantes durant votre prédication, tout en ayant à l’esprit qu’il ne faut confondre personne. La Bible demeure encore et toujours le document antique le mieux transmis d’entre tous, et les variantes n’affectent aucunement le message global.

Exemple avec le cas de Matthieu 17.21

Imaginons qu’un jeune pasteur commence sa semaine de travail et décide de préparer un sermon sur les bienfaits de la discipline du jeûne dans la vie d’un disciple de Jésus. Peut-être sera-t-il tenté d’utiliser Matthieu 17.21, afin d’enseigner à l’Église qu’une faveur particulière dans le combat spirituel est accordée à ceux qui jeûnent. Ou bien, que certaines formes de démons et de malins dans nos vies ne peuvent être vaincus que par le jeûne. Il est bien normal d’arriver à de telles interprétations lorsqu’on lit dans notre Bible un pareil verset : « Mais cette sorte de démon ne sort que par la prière et par le jeûne » (Matt 17. 21, Louis Segond 1910). Mais la Bible dit-elle vraiment cela ?

Si le prédicateur, avant de fonder un message en entier sur ce passage, avait commencé en allant valider son passage dans une Bible d’étude telle la NBS, il se serait rapidement rendu compte qu’il était en face d’une variante majeure. En effet, à plusieurs endroits, les manuscrits alexandrins ne mentionnent pas du tout le jeûne lié à la prière. Pire, cette variante est si importante que le verset 21 est complètement effacé dans l’édition Nestle-Aland (base grecque pour les traductions) et dans les Bibles Parole de Vie et Nouvelle Bible Segond. D’autres versions l’incluent encore, mais seulement entre crochets, tout en mentionnant dans l’apparat critique que ce passage est absent de la majorité des plus vieux et meilleurs manuscrits. On retrouve une situation similaire avec le cas de Marc 9.29. Encore une fois, le terme « jeûne » a été supprimé en raison de son absence dans les meilleurs manuscrits.

À d’autres endroits, la Bible parle bien du jeûne, on peut faire d’excellents messages qui vantent les vertus de cette discipline chrétienne. Il ne faut toutefois pas inventer de faux bénéfices qui contredisent l’action de la grâce de Dieu dans notre vie. Une maîtrise minimale du concept de la critique textuelle aurait pu éviter à ce jeune pasteur de fonder tout un message sur une fausseté.

2. La critique des sources

Dans le monde académique, avant que l’on parle de la critique rédactionnelle, on parlait surtout de la critique des sources. Née du constat que la Bible, comme toute production textuelle, utilise diverses sources comme inspiration, les exégètes qui pratiquent cette méthode tentaient, à partir du texte final, d’identifier les contours de leur présence, ainsi que leurs apports théologiques respectifs. L’existence de telles sources n’est pas très surprenante, la Bible elle-même mentionne parfois qu’elle puise dans certaines sources. Par exemple, en No 21.14, on parle du livre des « Guerres de YHWH », et en Jos 10.13, on parle du livre de « Jashar ». À plusieurs reprises, dans les livres des Rois, on signale des sources telles « les annales de Salomon » et « des rois de Juda et d’Israël ».

(1R. 11. 41 ; 14. 19, 29 ; 15. 7, 23)6. On retrouve le même phénomène dans le Nouveau Testament. On a qu’à lire l’introduction de l’Évangile de Luc pour le constater. La Bible use donc de manière explicite et implicite, de toute évidence, d’une multitude de sources. Les chercheurs tentent donc d’identifier cesdites sources.

Cette méthode fut particulièrement popularisée par Julius Wellhausen, qui postula la théorie documentaire du Pentateuque. Or, le Pentateuque serait né de la compilation de quatre matériaux différents, chacun apportant sa propre théologie : 1) le document « Yahviste » ; 2) le document « Élohiste » ; 3) le document « Deutéronomiste » et 4) le document « Sacerdotal ». Une théorie similaire fut émise au regard de la conception des Évangiles. La théorie des sources concernant les Évangiles postule une interdépendance entre les Évangiles synoptiques (Matthieu, Marc et Luc) ainsi que l’existence d’une source « Q » dans laquelle ces derniers auraient largement pigé leur matériel.

La critique des sources, dans sa totalité, est difficilement recevable et peu utile pour l’Église évangélique puisqu’elle présuppose que les auteurs bibliques ne sont pas des compositeurs inspirés, mais seulement des collectionneurs de documents. Les critiques les plus minimalistes résument même le travail des rédacteurs bibliques à n’avoir que collé maladroitement de vulgaires bouts de textes entre eux. Il ne faut pas généraliser toutes les études, mais de telles positions existent bel et bien et sont, bien entendu, irrecevables lorsque nous nous trouvons dans une posture de foi évangélique.

Émergence de la critique rédactionnelle

Tout ceci explique pourquoi, rapidement dans l’histoire, plusieurs exégètes7 se rendirent compte de la subjectivité, mais aussi de l’impasse exégétique des théories proposées par la critique des sources, et une nouvelle avenue, plus rationnelle, fut proposée, celle de la critique rédactionnelle. Plutôt que de percevoir les rédacteurs bibliques comme de vulgaires collectionneurs de sources, la critique rédactionnelle préfère les considérer comme de véritables compositeurs inspirés par des sources. Cette nuance change tout. Fondamentalement, l’objectif de cette approche est de comprendre l’intention d’écriture du rédacteur biblique final. C’est justement pour y arriver qu’elle tente de reconstituer, autant que faire se peut, les étapes et conditions d’écriture de l’œuvre étudiée8. C’est la raison pour laquelle nous utilisons librement l’expression « critique rédactionnelle » afin de résumer l’essence même de l’approche historique, c’est-à-dire, enraciner le texte dans son ou ses contextes de rédaction. Qu’est-ce que l’auteur final a voulu communiquer et qu’ont compris ceux à qui était destinée l’œuvre en question ?

En guise de conclusion

Nous allons nous arrêter ici pour l’instant. Dans le prochain article, nous tenterons de présenter davantage la méthode de la critique rédactionnelle et voir comment ce dernier outil historique peut s’avérer profitable pour un exégète qui partage la foi évangélique.


Cet article fait partie d’une série. Vous pouvez lire les articles précédents en suivant ces liens :

1. Pourquoi interpréter?
2.1 D’où vient l’herméneutique moderne (Partie 1)
2.2 D’où vient l’herméneutique moderne (Partie 2)
3. Les critères d’une herméneutique proprement évangélique
4. Existe-t-il une bonne méthode d’interprétation ?



  1. John H. Hayes et Carl R. Holladay, Biblical Exegesis, p. 34. 
  2. 1) Les textes massorétiques (1er s.) : texte hébreu avec ajout d’un système de voyelles au texte biblique ; 2) Le Pentateuque Samaritain : harmonisation samaritaine de la Torah ; 3) La Septante (280 av. J.-C.) : version grecque de l’Ancien Testament ; 4) La Peshitta (2e s.) : version syriaque de l’Ancien Testament ; 5) Les Targums (100 av. J.-C.) : citations, traductions et explications du texte biblique par des écoles juives ; 6) La Vulgate ; version latine de l’A.T. ; 7) Plusieurs autres témoins telles des traductions et révisions de la Septante, ainsi que des citations bibliques faites par des rabbins ou les pères de l’Église sont aussi utilisées ; 8) Il est à noter que la découverte des écrits de la mer Morte (1947) a grandement permis de développer cette méthode en y augmentant considérablement le nombre de témoins. Voir à ce sujetChristophe Nihan et Michael Bauk, Manuel d’exégèse de l’Ancien Testament, (Le monde de la Bible), Labor et Fides, Genève, 2008, p. 15-29. 
  3. Matthieu Richelle, Guide de l’exégèse de l’Ancien Testament, p. 223. 
  4. John H. Hayes et Carl R. Holladay, Biblical Exegesis, p. 39. 
  5. Christophe Nihan et Michael Bauk, Manuel d’exégèse de l’Ancien Testament, p. 33. 
  6. Douglas Mangum et Amy Balogh, Social and Historical Approaches to Bible, (Lexham Methods Series), Lexham Press, 2017, p. 56. 
  7. Trois ouvrages ont particulièrement contribué à démontrer l’aspect hautement spéculatif de la critique des sources. Leurs auteurs sont respectivement John Van Seters, Hans Heinrich et Rolf Rendtorff. Voir Matthieu Sanders, Introduction à l’herméneutique biblique, p. 36. 
  8. Matthieu Richelle, Guide de l’exégèse de l’Ancien Testament, p. 271. 
Simon Archambault
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Simon Jean-Claude Archambault est pasteur des ados depuis 10 ans au Canada et depuis 5 ans à l’Église le Portail dans la ville de Laval ainsi que responsable des formations bibliques. Détenteur d’un baccalauréat en Théologie Biblique de l’ITF et d’une maîtrise en exégèse de l’UdeM, il est aussi membre du Concile SOLA et professeur d’herméneutique à l’Institut de Théologie pour la Francophonie (ITF).

Published By: Simon Archambault

Simon Jean-Claude Archambault est pasteur des ados depuis 10 ans au Canada et depuis 5 ans à l’Église le Portail dans la ville de Laval ainsi que responsable des formations bibliques. Détenteur d’un baccalauréat en Théologie Biblique de l’ITF et d’une maîtrise en exégèse de l’UdeM, il est aussi membre du Concile SOLA et professeur d’herméneutique à l’Institut de Théologie pour la Francophonie (ITF).