R. C. Sproul, Que puis-je faire de ma culpabilité ?, trad. Myriam Graffe, Éditions La Rochelle, 2021, p. 7-9, 12-13, 16, 20-23.
Pendant ma carrière en tant que professeur de séminaire, j’ai souvent été appelé à donner des cours sur l’apologétique chrétienne. Le terme apologétique vient du mot grec apologia qui signifie « donner une réponse ». Ainsi, la discipline de l’apologétique a pour objectif de fournir une défense intellectuelle et rationnelle des prétentions à la vérité du christianisme et de répondre aux objections que les gens soulèvent à l’égard de la foi. Il peut s’agir d’une entreprise très abstraite et philosophique.
Étant investi dans le domaine de l’apologétique, je converse souvent avec des personnes non croyantes ; certaines sont indifférentes, tandis que d’autres sont ouvertement hostiles au christianisme. C’est pour cela que, lorsque j’aborde ce genre de discussions, je suis souvent confronté à des questions sur diverses choses que nous affirmons être vérité. Je pense, comme Francis Schaeffer avait l’habitude de le dire, qu’il est de la responsabilité chrétienne de donner des réponses honnêtes à des questions honnêtes, dans la mesure de nos moyens. C’est donc ce que je tente de faire de mon mieux.
Cependant, à un moment donné de la discussion, en particulier avec des personnes sceptiques ou philosophiquement hostiles au christianisme, je cesse de tenter de donner des réponses pour poser à mon tour une question particulièrement pointue. Je dis par exemple : « Nous avons discuté des abstractions, des arguments rationnels sur l’existence de Dieu, et cetera. Mettons tout cela de côté un instant pour que je puisse vous poser la question suivante : que faites-vous de votre culpabilité ? »
Cette question provoque souvent un changement radical dans la teneur de la discussion. Elle touche à quelque chose de viscéral pour de nombreuses personnes, quelque chose qui les affecte à un niveau existentiel, et extirpe donc la conversation du domaine de l’abstrait. Dans la plupart des cas, mon interlocuteur ne se met pas en colère lorsque je lui pose cette question. Parfois, la personne déclare qu’elle ne ressent pas de culpabilité ou que cela n’est qu’un terme inventé par les personnes religieuses. En général, cependant, la personne prend la question au sérieux et tente d’expliquer comment elle gère ce problème. Je pense que c’est la preuve que tout être humain y est confronté. Chacun, à un certain niveau et à un moment donné de sa vie, doit y faire face.
La culpabilité : une réalité objective
Qu’est-ce que la culpabilité ? En premier lieu, il faut dire qu’elle n’est pas subjective, mais objective, car elle correspond à une norme ou à une réalité objective. Cela m’amène à la définition la plus simple que je puisse proposer : la culpabilité est ce qu’une personne subit quand elle viole une loi. […]
Le sentiment de culpabilité : une réponse subjective
Il est intéressant de noter ce qui se produit lorsque je demande aux gens : « Que faites-vous de votre culpabilité ? » Je ne demande pas ce que l’individu fait de son sentiment de culpabilité. Non, ma question porte sur sa culpabilité. Pourtant, presque toutes les personnes auxquelles je pose cette question ont tendance à répondre en se basant sur ce qu’elles ressentent à cet égard. Dans ces cas-là, j’arrête la discussion pour faire une distinction minutieuse entre la culpabilité et le sentiment de culpabilité. Bien que ces deux notions soient étroitement liées, elles ne renvoient pas exactement à la même chose. La distinction fondamentale réside dans le fait que l’une est objective tandis que l’autre est subjective.
Arrêtons-nous un instant pour réfléchir à ce que sont les sentiments. Ce sont des choses que les êtres humains expérimentent. À notre connaissance, les pierres n’éprouvent pas de sentiments personnels. Ce sont des objets froids et sans vie. Par conséquent, si quelqu’un lance une pierre et que celle-ci me frappe la tête, cette personne peut ressentir ou non de la culpabilité, mais je peux affirmer sans risquer de me tromper que la pierre n’aura subi aucun traumatisme d’ordre psychologique. Elle est l’instrument utilisé dans cette agression en particulier, mais elle n’a pas de sentiments. Il en va autrement des gens, qui sont des êtres personnels. Ils ont un esprit et une volonté. Chacun d’entre eux possède une facette sentimentale. Ainsi, lorsque nous parlons de sentiments de culpabilité, il s’agit de quelque chose de personnel et de subjectif.
La culpabilité sans le sentiment de culpabilité. Alors que nous cherchons à faire le tri et à distinguer la culpabilité du sentiment de culpabilité, il est important de nous rappeler que nos sentiments ne correspondent pas toujours parfaitement à notre statut au regard de la loi. Quelques exemples permettront d’y voir plus clair. […]
Un sentiment de culpabilité sans culpabilité. D’un autre côté, certaines personnes sont en proie à toutes sortes de sentiments de culpabilité pour des choses qu’elles n’ont pas faites. Objectivement, elles n’ont violé aucune loi, mais à cause d’une aberration mentale ou d’une autre, elles se sentent coupables ; elles ont le sentiment d’avoir violé une ou plusieurs lois. […]
Chaque fois que nous confondons culpabilité et sentiment de culpabilité, nous nous exposons à plusieurs problèmes. Des gens peuvent par exemple profiter de notre sensibilité par rapport à certains schémas comportementaux et essayer de nous imposer des sentiments de culpabilité qui ne sont pas justifiés par rapport aux actions que nous avons faites. L’une des façons les plus faciles de manipuler les gens, c’est de les culpabiliser dans le but de leur faire honte ou de les mettre dans l’embarras pour qu’ils fassent ce que nous voulons. Il y a des gens qui sont passés maîtres dans l’art de manipuler par la culpabilité. Ce processus peut être très destructeur et dévastateur dans les relations humaines.
Mais cela reste un petit problème, comparé au revers de la médaille. Nous pouvons aussi devenir des spécialistes pour faire taire les sentiments découlant d’une culpabilité réelle. Nous vivons dans une culture qui nous enseigne que les sentiments de culpabilité sont intrinsèquement destructeurs parce qu’ils sapent l’estime de soi d’une personne. De nos jours, même dans le domaine de la psychologie, on nous laisse entendre qu’il n’est pas bon de dire aux gens que leur comportement est un péché. Karl Menninger a écrit un livre qu’il a intitulé Whatever Became of Sin? (Qu’est-il arrivé au péché ?) En voici l’idée principale : nous n’osons pas dire à quelqu’un que son comportement est mauvais parce que nous risquons de l’amener à se sentir coupable et, si cela se produit, il pourrait souffrir par la suite d’une sorte de détresse psychologique.
La réalité de notre culpabilité
Permettez-moi de revenir maintenant à la question que je pose lors de mes discussions apologétiques : « Que faites-vous de votre culpabilité ? » Un avocat intelligent ferait remarquer que cette question pose un problème. En effet, je n’ai pas établi qu’il y ait une quelconque culpabilité. Ma question présuppose que la personne est confrontée à une culpabilité qu’elle doit traiter.
Cette question ressemble à celle-ci : « Avez-vous cessé de battre votre femme ? » Si un homme répond à cette question en disant « oui », il admet qu’il a déjà battu sa femme, mais s’il répond « non », alors il veut dire qu’il continue de la battre. Quelle que soit sa réponse, elle le place en situation d’admission d’une certaine culpabilité. La question est posée de manière illégitime.
Donc, si je vous dis sans vous connaître « Que faites-vous de votre culpabilité ? », vous avez tout à fait le droit de me répondre : « Quelle culpabilité ? Vous supposez que j’en ai ! » C’est vrai, mais je peux faire cette supposition en me basant sur ma perspective théologique et biblique. C’est pourquoi, quand je pose cette question, je ne commence pas par soutenir que la culpabilité existe. Je me contente de supposer que les gens saisissent la réalité de la culpabilité.
Dans le troisième chapitre de l’épître aux Romains, l’apôtre Paul expose en détail la chute de la race humaine. Il écrit : « Or, nous savons que tout ce que dit la loi, elle le dit à ceux qui sont sous la loi, afin que toute bouche soit fermée, et que tout le monde soit reconnu coupable devant Dieu. Car personne ne sera justifié devant lui par les œuvres de la loi, puisque c’est par la loi que vient la connaissance du péché […] Car tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu » (Ro 3.19,20,22,23). Ici, de manière manifeste et sans ambiguïté, les Écritures enseignent non seulement la réalité de la culpabilité humaine, mais aussi son universalité. Dieu a déclaré que le monde entier, chaque personne qui y vit, est coupable d’avoir enfreint sa loi.
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Que puis-je faire de ma culpabilité ?
R. C. Sproul
R. C. Sproul (1939-2017) était un ancien enseignant ordonné dans la Presbyterian Church in America et a eu une brillante carrière d'enseignant universitaire dans divers collèges et séminaires, y compris le Reformed Theological Seminary à Orlando et Jackson, Mississippi. Il était également le fondateur de Ligonier Ministries, un ministère international d'éducation chrétienne situé près d'Orlando, en Floride.