Introduction
Tous mangent, mais tous ne sont pas des cuisiniers. La différence entre un cuisinier et le reste du monde, c’est la technique, l’expérience et le talent. Nous pouvons aisément faire l’analogie avec l’herméneutique. Tous les chrétiens tentent quotidiennement de se nourrir dans la Parole de Dieu, mais tous ne sont pas d’habiles exégètes. Cela veut-il dire qu’ils n’en retirent rien du tout ? Loin de là ! Toutefois, de la même manière qu’il demeure une nette différence entre le résultat d’un cuisinier et celui du reste du monde, il y a une marge entre la lecture du commun des croyants et celle d’un herméneute aguerri. Et qu’est-ce qui fait la différence entre l’herméneute entrainé et le commun des croyants ? Eh bien, la même chose qui sépare le cuisinier du reste du monde, c’est-à-dire la technique, l’expérience et le talent. L’herméneutique c’est l’art et la science de l’interprétation. La science de l’herméneutique permet d’établir des techniques fiables afin d’approcher le texte biblique, mais il y a aussi une part d’art, d’intuition et de créativité.
Nous avons déjà établi dans les précédents articles que pour obtenir une bonne herméneutique, nous tenons pour acquis les bonnes dispositions spirituelles et intellectuelles de l’herméneute. Mais aussi, que ce dernier possède les bons présupposés concernant le statut des Écritures. Rappelez-vous, dans bien des cas, ce n’est pas l’outil le problème, mais celui qui l’utilise. On peut aussi bien détruire que construire une maison à l’aide du même marteau. Une méthode historique peut aussi bien être utilisée avec rébellion dans le but de déconstruire la foi chrétienne en déclarant la présence, dans la Bible, de tensions entre des divers théologies concourantes. Toutefois, elle peut aussi être utilisée pour servir l’Église en mettant en lumière les choix éditoriaux de certains auteurs, approfondissant ainsi leur apport théologique spécifique dans l’ensemble de la Bible. Dans ce dernier cas, c’est le présupposé de l’harmonie de la Bible qui guide l’herméneute.
Les bonnes dispositions, la bonne attitude et les bons présupposés sont la base de l’édifice de l’interprétation biblique. Une fois ceux-ci acquis, on peut maintenant parler de la technique, c’est-à-dire, de la méthode.
Le danger d’un manque de méthode
Pour bien interpréter, il faut une bonne méthode. Le plus grand danger qui guette la prédication chrétienne en milieu évangélique est l’interprétation dite « immédiate1 » du texte. C’est l’ignorance ou le déni du grand défi des études bibliques qui est à l’origine de cette lacune qui plane sur chaque prédicateur de la Parole de Dieu. Ce grand défi des études bibliques se résume en un mot : « fossé » ! Il faut accepter et réaliser qu’il existe un fossé entre le lecteur actuel et le texte ancien. Ce fossé peut être d’ordre linguistique, cultuel, culturel, ethnique, topographique, géographique, politique, économique, littéraire, artistique, etc.2. Lorsque l’interprète de la Bible applique directement ce qu’il lit à sa situation présente, il décontextualise l’écriture ancienne et crée de ce fait, un prétexte à sa seule créativité.
Afin de combler ce fossé, il faut d’abord être en mesure d’étudier le texte dans son propre contexte : il s’agit de l’exégèse (extraire le sens). L’exégète désire replacer d’abord le texte ancien dans son contexte historique à lui et dans son contexte littéraire à lui, avec ses conventions anciennes. Seulement ensuite, il tente d’interpréter pour aujourd’hui. Mais il ne suffit pas, par la suite, de communiquer directement le produit de l’exégèse à sa congrégation. Cette étape est celle du critique, il ne s’occupe que du sens « objectif » de l’écriture (autant que la méthode scientifique peut le permettre). Certaines églises tombent aussi dans ce piège qui est diamétralement opposé à celui de la décontextualisation du texte. Malheureusement, ce genre de message ne peut rejoindre avec puissance la vie de l’auditoire. Ce serait l’équivalent de lire un article scientifique sur le mode de vie de la Palestine antique, il n’y a pas de vie dans un tel discours.
À la suite d’une bonne étude, il faudra développer une réflexion herméneutique. L’herméneutique, c’est l’art et la science de l’interprétation. Ces deux aspects sont importants afin de décrire sa complexité. L’herméneutique, en tant que science, fait référence aux critères et techniques mis en œuvre afin de régulariser l’interprétation. L’art fait référence à la notion intuitive, créative, voire spirituelle qui échappe à toute méthode. Le but fondamental de l’herméneutique est de guider le lecteur à bien lire, comprendre et saisir les textes, particulièrement ceux qui furent écrits à une autre époque, dans une autre culture3.
Durant cette étape, le ministre doit d’abord arriver à établir un pont entre le texte ancien et le contexte de vie actuel de son auditoire, sans oublier de passer par l’œuvre de Christ qui est l’accomplissement ultime de toutes les Écritures. En effet, c’est toujours à travers le prisme de la centralité de l’œuvre et de la personne du Christ que toute la Bible doit être interprétée. Finalement, ce sera en établissant une structure de communication claire que l’aspirant prédicateur pourra organiser et communiquer puissamment son contenu à ses gens. Cette dernière étape se nomme : « homilétique ».
Proposition d’une bonne méthode
Comme le mentionne avec justesse Tremper Longman, les trois piliers de l’étude de la Bible sont le contexte historique, l’analyse littéraire et le message théologique4. L’interprète désire, dans un premier temps, replacer le texte ancien dans son propre contexte historique, puis dans un second temps, l’analyser à titre d’œuvre littéraire. Dans un dernier temps, il se questionne sur les implications actuelles du texte, c’est le message théologique. Voici un schéma qui permet de systématiser la méthode tout en positionnant convenablement chaque approche et outil dont nous avons déjà discuté dans les derniers articles.
Au premier niveau, vous avez l’exégèse qui comprend les étapes d’analyse historique et littéraire. Puis vient l’herméneutique et finalement l’homilétique. Au second niveau, l’approche historique comprend : 1) La vérification de la critique textuelle. 2) La vérification du contexte historique, interne et externe. C’est-à-dire, qui a écrit l’œuvre, à qui et pourquoi, mais aussi toutes les références culturelles et historiques internes à l’œuvre. 3) La vérification du contexte littéraire. On parle ici du contexte immédiat comme du contexte large. On peut y inclure aussi les notions de théologie biblique. La vérification du contexte littéraire implique aussi de replacer le texte dans ses conventions littéraires historiques, c’est ce qu’on appelle l’analyse des genres littéraires.
Ensuite vient l’analyse littéraire à proprement parler qui comprend : 1) L’analyse textuelle qui étudie minutieusement la grammaire, la syntaxe, les verbes et le sens des mots. 2) L’analyse des structures types du texte. 3) L’analyse du fonctionnement du sens dans le texte.
Puis, viennent trois étapes facultatives : 1) L’analyse de la narration qui ne concerne que les récits. 2) L’analyse de la rhétorique gréco-romaine qui ne concerne que les discours néotestamentaires. 3) L’analyse des effets du texte sur le lecteur, aussi appelée l’analyse de l’acte de lecture qui peut parfois s’avérer intéressante, mais dont la valeur pour le prédicateur se trouve relativement limitée.
Alors, vient enfin l’étape de l’herméneutique où l’on doit s’assurer que notre interprétation respecte le cadre d’une lecture chrétienne. Les outils lors de cette étape sont : 1) Maîtriser les notions de théologie biblique. 2) Maîtriser les notions de théologie systématique. 3) Maîtriser les notions de théologie pratique.
Après tout ce travail, l’interprète des Écritures peut maintenant organiser ses idées sous une forme homilétique qui favorise la compréhension et la rétention d’information, et ensuite s’afférer à dispenser droitement l’enseignement de la Parole.
Nous proposons aussi un plan des étapes qui comprend les outils et ressources à utiliser au bon moment de l’étude.
En guise de conclusion
Comme mentionné dans l’introduction, c’est la technique, l’expérience et le talent qui font la différence entre un cuisinier et le reste du monde. Dans les prochains articles, nous allons nous intéresser davantage à la technique en passant en revue les différentes étapes de l’interprétation. Néanmoins, la technique ne fait pas tout, il faut aussi développer ce talent et le pratiquer régulièrement afin d’acquérir l’expérience nécessaire. C’est un peu comme lire un manuel de musique. Bien qu’il y ait une part d’intuition et de créativité dans la musique, tout comme dans la cuisine d’ailleurs, il ne faut pas s’attendre à être un expert après une seule lecture technique. Il faut plutôt s’attendre à pratiquer longuement. Mais le fruit de ce travail devient plus que rentable lorsqu’il permet de rendre vos lectures bibliques de plus en plus limpides et bénissantes pour vous, mais aussi pour ceux qui vous écoutent.
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Cet article fait partie d’une série. Vous pouvez lire les articles précédents en suivant ces liens :
1. Pourquoi interpréter?
2.1 D’où vient l’herméneutique moderne (Partie 1)
2.2 D’où vient l’herméneutique moderne (Partie 2)
3. Les critères d’une herméneutique proprement évangélique
- Il s’agit d’une erreur commune d’interprétation qui survient lorsque l’interprète décontextualise un récit ancien de manière à nier son contexte premier afin de l’appliquer directement à sa situation actuelle. Le livre La prédication textuelle de David Helm présente plusieurs tableaux qui permettent de mieux comprendre quel est le bon trajet par lequel doit impérativement passer un bon interprète de la Bible. Voir David Helm, La prédication textuelle : Comment bien communiquer la Parole de Dieu aujourd’hui, Les éditions cruciforme, Trois-Rivières, 2016, p. 55-112. ↩
- Grant R. Osborne, The Hermeneutical Spiral: A comprehensive Introduction to Biblical Interpretation, IVP Academic, Downer Grove, 2006, p. 161-167. ↩
- Anthony C. Thiselton, Hermeneutics: An Introduction, Eerdmans Publishing, Grand Rapids, 2009, p. 1. ↩
- Tremper Longman III et Raymond B. Dillard, Introduction à l’Ancien Testament, Excelsis, Charols, 2008. ↩
Simon Jean-Claude Archambault est pasteur des ados depuis 10 ans au Canada et depuis 5 ans à l’Église le Portail dans la ville de Laval ainsi que responsable des formations bibliques. Détenteur d’un baccalauréat en Théologie Biblique de l’ITF et d’une maîtrise en exégèse de l’UdeM, il est aussi membre du Concile SOLA et professeur d’herméneutique à l’Institut de Théologie pour la Francophonie (ITF).