Êtes-vous permis de quitter une église ?

R. C. Sproul, Qu’est-ce que l’Église ?, trad. Myriam Graffe, La Rochelle, 2021, p. 57-63.

Quand peut-on dire qu’une Église n’en est pas une ? Je reçois fréquemment des lettres de personnes qui s’épanchent et me disent : « Je suis très malheureux dans l’Église que je fréquente. Je ne suis pas satisfait de ce qui est prêché ou des activités qui sont organisées au sein de l’église. » C’est un sujet très sérieux. Il s’agissait d’une question majeure au XVIe siècle, à l’époque de la Réforme, lorsque la plus grande fragmentation jamais vécue au sein de l’Église visible a eu lieu. Après la séparation des réformateurs protestants d’avec Rome, toutes sortes de groupes divergents sont apparus. Ils avaient différents credo, différentes confessions, différentes formes de gouvernement et différentes liturgies. Tous ces groupes prétendaient être des Églises chrétiennes, et beaucoup d’entre eux se targuaient d’être la seule véritable, à tel point que les gens de cette époque se disaient : « Comment pouvons-nous savoir ? Quelles sont les caractéristiques d’une Église authentique ? »

Les réformateurs ont lutté avec cette question, car Rome ne reconnaissait pas les Églises protestantes comme des Églises authentiques. À cette époque, Rome affirmait que l’Église se définissait de la manière suivante : l’Église se trouve là où il y a un évêque, car sans autorisation de la part d’un évêque romain, nulle communauté créée n’est une Église valide. Les réformateurs protestants ont adopté une vision différente de la question. Ils ont cherché à déterminer et à répertorier les signes d’une véritable Église, et ce faisant, ils ont retenu trois caractéristiques distinctives. Premièrement, une véritable Église prêche fidèlement l’Évangile. Deuxièmement, une véritable Église administre les sacrements correctement. Troisièmement, une véritable Église pratique une discipline authentique de ses membres. Le gouvernement ecclésiastique est alors un corollaire du troisième point, qui existe pour l’éducation et la discipline du peuple. De tous les éléments qui composent une Église, ce sont les trois éléments non négociables que les réformateurs ont identifiés comme étant les caractéristiques essentielles d’une véritable Église. Examinons ces caractéristiques plus en détail :

1) Un endroit où l’Évangile est proclamé fidèlement. Les réformateurs n’entendaient pas par-là la simple annonce de la bonne nouvelle de la mort et de l’expiation de Jésus, mais plutôt la proclamation fidèle des vérités essentielles du christianisme. Si une Église niait un aspect essentiel de la foi chrétienne, cette institution n’était plus considérée comme une Église. Le protestantisme historique n’aurait par exemple pas reconnu les mormons comme une Église chrétienne authentique, car ces derniers nient la déité éternelle de Christ.

2) Un endroit où les sacrements sont administrés. Selon les réformateurs, s’il n’y a pas de sacrements – la sainte cène et le baptême –, il ne s’agit pas d’une Église. Cela prend toute son importance aujourd’hui, car nous avons des groupes para-ecclésiastiques qui sont engagés quotidiennement dans divers champs d’action et ministères chrétiens. Leur vocation est de travailler aux côtés des Églises. Le ministère que j’ai fondé, le ministère Ligonier, peut également être qualifié de ministère para-ecclésiastique. Il s’agit d’une institution éducative, et non d’une Église. Le ministère Ligonier n’administre pas les sacrements. Il n’y a pas non plus de système d’appartenance comme dans une Église, qui soumettrait les membres du ministère Ligonier à une certaine discipline. Ce n’est pas sa fonction. Certes, l’organisme est appelé à aider l’Église sur le plan de l’éducation, mais son champ d’action dans ce domaine est très restreint et nous ne prétendons pas être une Église. En ce sens, le ministère Ligonier n’est constitué d’aucun membre. Nous ne baptisons personne et nous n’avons pas de système d’adhésion à l’Église de Ligonier, car nous n’en sommes pas une. Le service des sacrements est une tâche qui incombe à l’Église.

3) Un endroit où la discipline d’Église est appliquée. Nous avons vu, tout au long de l’histoire de l’Église, que la discipline a connu quelques variations. Dans le passé, la discipline d’Église a parfois été exercée de manière sévère. Au XVIe siècle, ont eu lieu de violentes persécutions, non seulement de l’Église catholique romaine envers les protestants, mais aussi des protestants envers les catholiques. Nous savons que certains ont été soumis à la torture et à toutes sortes de punitions comme moyen de discipline d’Église. À notre époque, au XXIe siècle, cela nous paraît cruel, inhabituel et barbare. C’est le cas, mais je voudrais tout de même éclaircir un point : les responsables de l’Église du XVIe siècle croyaient vraiment à l’enfer. Ils croyaient qu’il n’y avait pas de pire sort pour un être humain que d’être jeté en enfer. L’Église croyait sincèrement qu’il était justifié d’utiliser presque tous les moyens nécessaires pour réprimander et discipliner ses membres afin de les préserver de l’enfer. S’il fallait une salle de torture, un chevalet, voire la menace d’être brûlé sur le bûcher pour sauver une personne des mâchoires de l’enfer, la torture était considérée comme légitime. Je ne défends pas ces pratiques, mais j’essaie simplement de mettre en relief l’état d’esprit des gens du XVIe siècle, qui prenaient l’enfer très au sérieux. Aujourd’hui, notre attitude semble indiquer que nous n’avons pas du tout besoin de discipliner les gens parce que cela n’a pas d’importance. Cela s’explique peut-être par le fait que beaucoup de personnes ne croient pas en la menace du jugement divin.

Dans l’histoire de l’Église, le pendule a toujours eu tendance à se balancer d’un extrême à l’autre lorsqu’il était question de discipline. Par moments, l’Église exerce des formes de discipline dures et sévères ; à d’autres moments, elle est marquée par une extraordinaire forme de latitudinarisme. Dans de tels cas, aucune discipline n’est imposée au peuple. Il y a quelques années, l’une des principales dénominations américaines a provoqué une controverse au sein de l’Église lorsqu’un groupe de pasteurs et d’universitaires a rédigé un document dans lequel ils redéfinissaient complètement l’éthique sexuelle chrétienne d’un homme et d’une femme pour la vie conjugale. Ce rapport a été présenté comme une législation pour l’Église, entraînant un grand désaccord avec ceux qui étaient plus orthodoxes. Une épreuve de force a eu lieu lors de la réunion annuelle de cette dénomination, et au moment du vote, la proposition a été rejetée.

Mais ce qui s’est passé ensuite est peut-être encore plus étrange. Bien que l’Église n’ait pas adopté cette position particulière concernant le comportement sexuel, elle n’a pas pour autant censuré ou discipliné ceux qui défendaient cette position. L’Église a en quelque sorte répondu : « Ce n’est pas notre position officielle, mais si vous voulez être pasteur au sein de notre dénomination et soutenir ou enseigner ces choses, nous ne nous y opposerons pas. » Il y a clairement eu un échec au niveau de la discipline sur ce sujet-là, ce qui se produit régulièrement dans l’Église moderne.

Cela soulève également une question. Si une Église échoue de manière significative dans la discipline de ses membres concernant les péchés graves, abjects et flagrants, cette institution est-elle toujours une Église ? À partir de quel moment peut-on affirmer que l’Église est devenue apostate ? La réponse à cette question n’est pas évidente, car dans l’histoire de l’Église, il était très rare qu’une institution admette ne pas croire à l’expiation, à la divinité de Christ, ou à d’autres vérités essentielles. Les choses ne sont pas toujours claires. L’Église manie souvent à la légère les vérités essentielles de la foi chrétienne.

Nous faisons une distinction entre l’apostasie de facto et l’apostasie de jure, entre l’apostasie matérielle et l’apostasie formelle. On parle d’apostasie formelle (de jure) lorsque l’Église nie clairement et sans équivoque une vérité essentielle de la foi chrétienne. L’apostasie de facto est l’apostasie à un niveau matériel ou pratique, lorsque les credo restent intacts mais que l’Église ne croit plus en ceux-ci. Elle sape les croyances même auxquelles elle affirme croire.

Cela nous amène à une application pratique. Quand doit-on quitter une Église et en fréquenter une autre ? Tout d’abord, je dirais que ce n’est pas une décision que l’on doit prendre à la légère ; c’est une question très sérieuse. Pour devenir membre d’une Église, il est très fréquent de devoir prononcer un vœu solennel devant Dieu. Se retirer d’un groupe devant lequel un vœu sacré a été prononcé nécessite de sérieux arguments et doit être justifié par des raisons valables.

Aujourd’hui, les gens passent d’une Église à une autre sans vraiment se poser de question. Lorsque nous quittons une Église pour des raisons absurdes, comme la couleur de la peinture ou une remarque offensante, cela prouve que nous ne voyons pas la nature sacrée de l’Église elle-même.

Nous ne devons pas quitter une assemblée sans raison valable. Nous devons honorer notre engagement envers notre Église, au mieux de nos capacités, aussi longtemps que possible, à moins que celle-ci ne soit plus en mesure de nous nourrir dans notre foi chrétienne. Lorsque l’Église est apostate, le chrétien doit la quitter. Vous aurez peut-être le sentiment de devoir rester dans l’Église pour essayer de travailler à son changement et à son rétablissement, mais si l’Église est apostate, vous ne devez pas y rester. Souvenez-vous de l’épreuve de force qui a eu lieu entre les prophètes de Baal et Élie sur le mont Carmel. Après que Dieu a montré son pouvoir sur Baal, peut-on encore imaginer quelqu’un dire : « Eh bien, je comprends maintenant que Yahweh est Dieu, mais je vais rester ici dans la maison de Baal en tant que sel et lumière et essayer de la réformer » ? Nous ne sommes pas autorisés à faire cela. Si l’institution dans laquelle nous sommes commet l’apostasie, il est de notre devoir de la quitter.

Quoi qu’il en soit, nous devons toujours examiner attentivement les caractéristiques de l’Église. L’Évangile est-il prêché ? Les sacrements sont-ils dûment administrés ? Existe-t-il un système biblique de direction d’Église et de discipline ? Si ces trois éléments sont présents, vous ne devez pas partir. Vous devez vous efforcer d’être un membre édifiant de cette section du corps de Christ.


Pour en savoir plus sur le livre, cliquez sur le lien suivant :

Qu’est-ce que l’Église ?

R. C. Sproul
Plus de publications

R. C. Sproul (1939-2017) était un ancien enseignant ordonné dans la Presbyterian Church in America et a eu une brillante carrière d'enseignant universitaire dans divers collèges et séminaires, y compris le Reformed Theological Seminary à Orlando et Jackson, Mississippi. Il était également le fondateur de Ligonier Ministries, un ministère international d'éducation chrétienne situé près d'Orlando, en Floride.

Published By: R. C. Sproul

R. C. Sproul (1939-2017) était un ancien enseignant ordonné dans la Presbyterian Church in America et a eu une brillante carrière d'enseignant universitaire dans divers collèges et séminaires, y compris le Reformed Theological Seminary à Orlando et Jackson, Mississippi. Il était également le fondateur de Ligonier Ministries, un ministère international d'éducation chrétienne situé près d'Orlando, en Floride.