Dans une déclaration récente concernant certains troubles culturels en Amérique du Nord, un collègue historien, Owen Strachan, a fait une observation sur l’histoire de l’Église* que j’ai trouvée assez surprenante. Il a noté que « les prises de position épiques pour la vérité se font généralement seules, leur coût étant si élevé.»
Je l’ai trouvée assez surprenante parce que ma propre étude de l’histoire de l’Église, qui maintenant remonte aux fabuleux cours que j’ai suivis au Wycliffe College dans les années 1970 avec des hommes comme John Egan, Eugene Fairweather, Michael Sheehan, puis enseignant à temps plein de 1982 à présent dans divers séminaires et collèges, m’a donné une perspective fondamentalement différente.
C’est une que j’ai apprise par induction de l’histoire de l’Église (que ce soit l’ère Apostolique avec le cercle Paulinien, ou les Pères Cappadociens, ou l’Église celtique, ou les réformateurs, ou la fraternité puritaine, ou les réveils évangéliques du XVIIIème siècle- dont j’ai tout étudié en profondeur), et c’est à savoir ceci :
Dieu ne fait jamais une grande œuvre dans l’histoire de l’Église qu’à travers un groupe de frères et sœurs. C’est le cas de l’Église Antique, l’Église celtique et ses puissantes missions, de la Réforme, des puritains et des réveils évangéliques du XVIIIème siècle.
L’idée d’un personnage solitaire défendant la vérité contre les sbires du mal et l’échec des hommes du même esprit à ses côtés est le produit de plus d’une lecture de l’histoire de l’Église façonnée par une culture »Cowboy » que les faits réels.
Et d’une certaine manière affirmer autrement c’est faire de l’histoire de l’Église un récit de »célébrités’’ alors que la réalité est mieux exprimée dans ces dernières lignes de « Middlemarch » de George Eliot (quoiqu’elle aurait voulu leur signifier différemment).
‘’Que les choses ne soient pas si mauvaises pour vous et moi, même si elles auraient pu l’être. C’est en partie dû au nombre de ceux qui ont vécu fidèlement une vie cachée et reposent dans les tombes non visitées ’’
Le « grand homme » façon de faire l’histoire
La remarque du professeur Strachan « les prises de position épiques pour la vérité se font généralement seules, leur coût étant si élevé » évoque la façon dont le « grand homme » fait de l’histoire. En revanche, je tiens à affirmer que dans l’histoire de l’Église et dans l’Église, il n’y a pas de petites personnes.
Des années passées, on m’a demandé d’écrire l’histoire de mon Église locale, Stanley Avenue Baptist Church, à Hamilton, Ontario, où j’ai été converti, baptisé et nourri en tant que jeune chrétien. Cette Église a eu une histoire riche, surtout pendant les années 1920 où le pasteur C.J. Loney était l’un des grands piliers de la bataille épique contre le libéralisme à l’université McMaster.
Pendant que j’écrivais l’histoire de cette Église, je suis tombé sur un procès-verbal de l’année 1926, pour être précis le 10 mars 1926. Une jeune femme nommée Charlotte (Lottie comme tout le monde l’a connu plus tard) Inrig se leva à une rencontre d’affaires et proposa à l’Église qu’on coupe le financement à McMaster » jusqu’à ce qu’il n’ait aucune incertitude quant à l’enseignement orthodoxe de l’Université McMaster’’. La motion est adoptée.
Lorsque je venais pour la première fois dans l’Église en 1974, Lottie était une femme âgée d’environ quatre-vingts ans, elle s’asseyait tranquillement semaine après semaine sur un banc quelques rangées derrière moi. Je lui avais prêté peu d’attention. Quand j’ai lu ce procès-verbal, j’ai réalisé l’énorme dette j’avais envers Lottie Inrig, car par cette action elle a aidé à préserver le témoignage orthodoxe de Stanley Avenue Baptist Church.
Quand l’histoire de cette époque est écrite, c’est T.T. Shields qui est le personnage central et pas même C.J. Loney dont presque personne n’a entendu parler. Encore moins connu est le nom de Lottie Inrig. Mais comme la femme qui n’a donné qu’une petite somme d’argent, son nom est glorieux dans le ciel. Car par cette action, elle a assuré un témoignage de l’Évangile pour des centaines comme moi qui sont venus à Christ dans cette Église.
En effet sans des centaines de Lottie Inrig, T.T. Shields n’aurait pas eu de voix.
Être l’historien de l’Église
Comme historien, je m’intéresse non seulement à la mémoire du passé, mais à comment nous nous souvenons du passé. J’attends des historiens qu’ils soient d’abord et avant tout attachés à la vérité dans les détails et qu’ils réfléchissent non seulement au contenu de ce dont ils parlent/écrivent, mais à la façon dont ils font l’histoire.
L’histoire de l’Église est l’histoire de l’Église catholique, pas simplement des dirigeants de l’Église. Au moyen âge, le terme spiritualitas (‘’spiritualité’’) ne s’appliquait pas seulement à la marche du croyant avec Dieu, mais aussi était synonyme de clergé et des religieux (c’est-à-dire des moines et des nonnes). Pas étonnant que les réformateurs ont préféré le terme pietas pour décrire la marche du croyant avec Dieu. Et en réaction à cette diminution de la valeur de la vie ordinaire, ils ont également souligné que tout le peuple de Dieu pouvait vivre des vies d’une riche signification spirituelle.
Suis-je passionné par l’histoire de l’Église? Bien sûr! Je ne m’attends pas à ce que chaque historien de l’Église soit comme moi (pas du tout), mais je m’attends à une sensibilisation des dangers de dépeindre l’histoire de l’Église comme simplement l’histoire de grands dirigeants, de leurs pensées et de leurs écrits.
* Notes d’éditeur: L’Église « catholique » signie ici simplement « universel » et pas l’Église catholique romaine.
Cet article a été initialement publié sur The Gospel Coalition Canada. La traduction est publiée ici avec permission.
Né en Angleterre de parents irlandais et kurdes, le Michael A. G. Haykin est professeur d'histoire de l'Église au Southern Baptist Theological Seminary, à Louisville, dans le Kentucky, et directeur du Andrew Fuller Center for Baptist Studies, qui est basé sur le campus du Southern mais qui a également un bureau en Ontario. Le Dr Haykin est l'auteur d'un certain nombre de livres traitant d'études patristiques et baptistes et est également le rédacteur en chef d'une édition en 16 volumes des œuvres d'Andrew Fuller (Walter de Gruyter). Lui et son épouse Alison habitent à Dundas, en Ontario, et sont membres de la West Highland Baptist Church, à Hamilton, en Ontario. Ils ont deux enfants adultes, Victoria et Nigel.