Réflexions sur le scandale Ravi Zacharias

« Ce serait terrible, si un jour, dans notre propre monde, chez nous, les hommes commençaient à devenir sauvages à l’intérieur d’eux-mêmes, comme les animaux ici, mais conservaient néanmoins une apparence d’homme, de telle sorte qu’on ne saurait jamais qui serait qui… » (C. S. Lewis, Le prince Caspian)

Le monde évangélique a été ébranlé après avoir appris qu’un de leur rock star apologistes, un homme connu comme étant un « grand homme de Dieu » était vraisemblablement un charlatan. Ravi Zacharias était un homme passionné par la Parole, un homme doué pour la prédication et la défense de la foi. Il eut un ministère mondial très fructueux et fut puissamment utilisé par Dieu pour amener des gens à la foi et pour affermir tant de chrétiens. Personne ne se doutait qu’en réalité, Ravi était un prédateur sexuel qui pratiquait ses déviances depuis de nombreuses années, abusant de plusieurs femmes. Il était un menteur, un manipulateur, un abuseur, un violeur et un exploiteur. Ravi avait l’extérieur d’un homme intègre et pieux. Le résultat de l’enquête menée nous a mis à l’évidence que Ravi était une coupe nettoyée de l’extérieur cachant un intérieur crasseux (Luc 11 :39). Quelle contradiction ! L’homme qui a dévoué sa vie à défendre l’existence de Dieu agissait (dans le secret de son coeur) comme si Dieu n’existait pas !

J’analyse les réactions à ce scandale sur les réseaux sociaux depuis quelques semaines. Je constate que plusieurs s’identifient à Ravi Zacharias. Ils en tirent, comme leçon principale, le souvenir de leur propre vulnérabilité au péché : « Je suis Ravi Zacharias ». C’est une leçon juste à tirer de cette histoire. Cependant, cette leçon ne traite pas la situation avec le sérieux qu’elle le mérite à mon avis. Oui, la dépravation totale de l’homme est une notion biblique importante qui devrait nous porter à l’humilité, mais ce n’est pas l’unique catégorie que la Parole de Dieu nous donne pour interpréter sainement cette histoire. Dieu nous dit de nous méfier de tels hommes, d’être sur nos gardes, et de savoir les reconnaitre.

Dominic Steele, un pasteur du Village Church Annandale au Sydney compare le cas de Ravi avec les scribes de Marc 12:38-40 (une comparaison que je trouve tout à fait légitime). Les scribes avaient une façade de sainteté recouvrant un intérieur vil. C’étaient des hommes d’apparence impressionnante, des hommes révérés à qui on réservait les sièges d’honneur. C’était les superstars, les célébrités religieuses du temps de Jésus. Jésus, quant à lui, n’en était pas impressionné ; Il voit les cœurs. Il savait que les scribes étaient des hommes préoccupés par le tape-à-l’œil, mais qui abusaient des femmes vulnérables (des veuves dans leur cas). Ravi était ce type d’homme. Ravi était un homme d’affaire qui a trouvé succès dans le monde évangélique et qui a utilisé son statut pour se livrer sans scrupules à ses déviances. Un homme à l’apparence pieuse, respecté et honoré qui a utilisé ses dons pour se servir lui-même. Christ nous met en garde contre de tels hommes : « Méfiez-vous » de ces hommes (Marc 12:38) !

Il semble y avoir une tension dans les Écritures au sujet de porter un jugement sur une autre personne. D’un côté, on voit que Dieu nous appelle à utiliser un discernement, de reconnaitre un faux prophète comme l’on reconnait un arbre à ses fruits (Mattieu 7:15-17). Tout le processus de discipline de Matthieu demande que l’on prenne position au sujet des agissements d’une personne. Dieu nous appelle à avoir un certain rôle de jugement les uns envers les autres à l’intérieur de l’Église (1 Cor 5:12-13). En même temps, Dieu nous appelle à faire preuve de réserve, car c’est lui le seul qui « qui mettra en lumière ce qui est caché dans les ténèbres, et qui manifestera les desseins des cœurs. »

Je me réjouis que Dieu ait vu bon de mettre maintenant en lumière ce que Ravi avait caché dans les ténèbres. Je me réjouis d’avoir un Dieu de justice qui ne se satisfait pas des apparences, ni du succès d’un ministère. Je me réjouis avec ces femmes qui ont enfin été revendiquées. Je me réjouis avec cette femme qui a été traînée dans la boue pendant des années lorsqu’elle a osé porter plainte. Je me suis réjoui avec l’homme athée Steve Baughman qui avait compris bien avant nous que Ravi avait un problème d’intégrité. Il avait tenté d’alerter sur les tendances mensongères de Ravi1, mais c’est à lui qu’on avait porté de mauvaises intentions. Mon Dieu a vu bon d’utiliser des gens bien ordinaires pour dévoiler ce qu’un ‘grand homme’ avait caché. Pendant des années, ceux qui ont eu un grief contre Ravi furent déshonorés au lieu d’être écoutés. La majorité n’a même pas osé parler, sachant qu’il serait improbable qu’on puisse croire leurs paroles au lieu de celles d’un homme si influent et renommé.

Comment être sur nos gardes et se méfier d’hommes tels que Ravi Zacharias ? Même les amis proches de Ravi furent surpris et ébranlés d’apprendre la vérité. Ils voyageaient avec lui, tenaient son livre de rendez-vous, mangeaient avec lui, priaient avec lui. Ils le connaissaient personnellement ! Il me semble improbable que les comportements de Ravi aient perduré sur une décennie sans que personne n’ait douté de son intégrité. Un de ses anciens collègues de travail nous parle ouvertement de comment il a vécu cette trahison. Il nous donne un regard sur la gestion du conflit à l’intérieur du ministère de Ravi Zacharias International Ministries (RZIM). Il dit :

Un des manquements du conseil d’administration de RZIM était leur inhabilité de concevoir que Ravi pourrait être coupable et petit à petit, ils ont continué à prendre des décisions telles que de lui faire confiance et de le soutenir sans poser des questions difficiles ou sans chercher à faire les vérifications nécessaires. Tout à coup, ils se trouvent dans une situation où des choses affreuses se sont produites sous leur surveillance et ils ont participé à perpétuer et à exacerber la souffrance [des victimes] parce qu’ils n’ont pas pris assez au sérieux ou assez rapidement les allégations2.

Ce qui est tout autant scandaleux c’est de prendre conscience que Ravi n’a pas été tenu responsable comme il aurait dû l’être par son conseil malgré plusieurs signaux d’alarme qui pointaient vers un grand manque d’intégrité. Max Baker-Hytch, un apologiste de RZIM écrivit une lettre aux membres du conseil administratif pour adresser les manques flagrants dans cette affaire. Vous pouvez voir sa lettre complète à la fin de l’article de The Roys Report ici. Il s’adresse à la culture interne qui a vu mieux que de cacher et minimiser les mensonges de Ravi.

Le scandale de la double vie menée par Ravi Zacharias et le scandale de la culture interne de RZIM permettant qu’elle perdure aussi longtemps a beaucoup à nous apprendre. Je termine avec quelques leçons que je vois bonnes d’en tirer.

1. Le statut de pasteur-célébrité peut être un piège dangereux. D’un côté, il y a un besoin pour les ressources que ces leaders spirituels célèbres nous apportent : ils sont utiles à l’avancement de l’œuvre et à la croissance de beaucoup de chrétiens comme outils complémentaires à l’église locale. Il y a une place pour cela. Mais nous devons faire attention. Du moment où le ministère d’un pasteur devient si important qu’il puisse être élevé au-dessus du principe de la redevabilité (possiblement, car il est à la tête d’un ministère ou qu’il a peu de rapport permettant la redevabilité avec son église locale) il y a danger. Ravi avait bâti un empire qui portait son nom et il avait placé sur son conseil d’administration, entre autres, des membres de sa famille. Il est aussi possible que les autres membres de son conseil furent des gens placés stratégiquement, des gens ‘rubber stamp’, ce qui lui laissait peu de chance d’avoir des gens à qui répondre. Max Baker Hytch reproche le manque de transparence et de redevabilité au conseil administratif. Il exhorte, entre autres, à un changement de culture interne. Il écrit :

Ravi a été placé sur un piédestal, position qu’aucune personne à l’exception de Jésus-Christ n’est apte à occuper, et la manière dont une loyauté sans bride et la gestion de la réputation (de Ravi) a souvent pris préséance sur la vérité et la transparence.

2. L’ajout de plus de règlements n’est pas la réponse au problème du péché. Face à ce scandale, la tendance d’hommes bien intentionnés pourrait être d’instaurer plus de règlements pour prévenir une chute de nature sexuelle. L’instauration de plus de glissières de sécurité dans l’église pourrait nuire aux femmes plus qu’autre chose. Melissa Kruger a écrit un excellent article sur Gospel Coalition intitulé « Les femmes ne sont pas le problème » pour adresser l’effet négatif que les femmes dans les églises subiront si les hommes ressortent comme leçon principale la nécessité de garder les femmes à distance. Elle encourage les hommes à s’approcher de Dieu plutôt que de s’éloigner des femmes. Elle encourage la redevabilité, mais pas au détriment des femmes. Elle encourage les pasteurs à paitre le troupeau, ce qui inclut les femmes. Ce sont des encouragements très à point pour protéger les femmes contre le fait de subir encore plus de souffrance suite à l’histoire de Ravi. Dieu nous donne une catégorie biblique par laquelle nous pouvons comprendre comment vivre des relations saines entre sexes opposés dans l’église locale. Des relations de famille (frère-sœur, mère-fils) sont la réalité que nous sommes appelés à vivre dans l’Église (voir 1 Timothé 5:2).

3. Les autorités pastorales de l’Église doivent être disposées à entendre une accusation portée contre un des leurs. Il ne faut pas y voir une menace personnelle ou craindre d’entacher le travail de l’Évangile en disciplinant un leader. C’est utile à l’édification de l’Église (1 Timothée 5:18-20). La repentance est corporative. Elle fait partie de la vie de l’Église.

4. Il est important d’adresser un manque d’intégrité même s’il semble anodin. Avant même qu’éclate le scandale sexuel, le manque d’intégrité de Ravi était apparent depuis des années. Ravi avait tendance à mentir et à manipuler les mots pour laisser des impressions mensongères. Un pattern de paroles mensongères ou manipulatrices mérite d’être adressé avec sérieux, surtout chez un leader spirituel (Jacques 3:1).

5. La réponse à un reproche en dit beaucoup sur le cœur d’une personne. Certains ont comparé Ravi à un David moderne. À part la nature sexuelle des péchés, la comparaison ne tient pas la route. David se repentit lorsqu’il fut confronté à son péché. Ravi, quant à lui, nia ou justifia son péché. La manière dont une personne réagit lorsqu’elle est confrontée aux paroles « tu es cet homme ! » (2 Samuel 12:7) en dit beaucoup sur l’état de son cœur.


  1. Je fais référence au scandale des accréditations qui a fait irruption en 2016 où Ravi avait été confronté à plusieurs de ses mensonges au sujet de son titre de docteur qu’il se donnait, l’endroit où il avait étudié, où il avait affirmé faussement avoir été un professeur. 
  2. Dan Paterson, qui était en tête du ministère RZIM en Australie jusqu’à mars 2020. 
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Caroline Collins (BTh, concentration counseling biblique, SEMBEQ) est infirmière en CHSLD. Elle est admise à la maîtrise en counseling et psychologie à l’Université de Yorkville (début septembre 2021 prévu). Caroline est mariée et mère de 4 enfants.

Published By: Caroline Collins

Caroline Collins (BTh, concentration counseling biblique, SEMBEQ) est infirmière en CHSLD. Elle est admise à la maîtrise en counseling et psychologie à l’Université de Yorkville (début septembre 2021 prévu). Caroline est mariée et mère de 4 enfants.