« Les livres de la Bible ont été sélectionnés au Concile de Nicée. » Voilà une accusation fréquente.
Je l’ai lu dans des livres et des forums Internet et je l’ai aussi entendu de la bouche de certains laïcs et universitaires. C’est une phrase qu’on entend à répétition et qui a gagné en popularité à cause de la célébrité du Da Vinci Code de Dan Brown et la promulgation explosive sur le web.
L’un des personnages principaux dans le Da Vinci Code, Leigh Teabing, affirme que : « Constantin a commandé et financé une nouvelle Bible, qui omettait les évangiles qui parlaient des traits humains de Christ et qui embellissait les évangiles qui le dépeignaient comme un dieu. (Brown, 325) » Ce genre d’idées n’a pas vu le jour avec Dan Brown, l’histoire sous une forme ou une autre, circule depuis des dizaines voire même des centaines d’années avant l’arrivée de cette fiction populaire. Donc, la question logique qui se pose est : que s’est-il passé au Concile de Nicée ?
Que s’est-il passé à Nicée ?
Le premier Concile de Nicée, qui s’est tenu entre mai et août de l’an 325, à Iznik, en Turquie, était un concile œcuménique rassemblé pour régler un problème théologique précis. Il avait pour objectif d’éclaircir la controverse arienne, une hérésie trinitaire promue par Arius, un prêtre de l’Afrique du Nord, qui stipulait que le Fils de Dieu était soumis au Père éternellement, mais aussi que le Fils n’existait pas depuis le début et qu’il avait été créé par Dieu le Père à un moment arrêté dans le temps. Arius, dans sa lettre à Alexandrie, a écrit : « Le Fils, engendré hors du temps par le Père et créé et fondé avant les âges, n’existait pas avant sa génération… le Fils n’est pas éternel ou coégal ou non-créé avec le Père » (Lettre à Alexandrie 4:458).
Il y a même une histoire qui a commencé à circuler plus tard qui disait que Saint-Nicolas (oui, le bon vieux Saint-Nicolas lui-même) avait frappé Arius au visage après qu’il ait prononcé sa célèbre citation : « il fut un temps où le Fils n’était pas. » Bien que l’image du père Noël qui frappe les hérétiques aux visages est plutôt comique, l’anecdote a commencé à être racontée plus tard et ne peut pas être associée historiquement au Concile.
Les résultats finaux du rassemblement sont ce que nous connaissons sous le nom du Credo de Nicée, les vingt décrets du canon et une épître synode qui accompagnait l’énoncé du credo. Dans tous ces documents, Nicée cite les livres du Nouveau Testament en tant qu’autorité et reconnaît leur suprématie et leur juridiction. Les 318 membres (même les non-orthodoxes pour autant que nous sachions) ont reconnu l’autorité déjà établie de l’Écriture ; ils n’ont pas inventé son statut. Les vingt-sept livres du Nouveau Testament étaient lus, étudiés, prêchés et déclarés comme la sainte Parole de Dieu des centaines d’années avant la naissance des membres du Concile de Nicée.
Il n’y a aucune preuve dans les documents qui proviennent de Nicée ou encore dans les témoignages des participants ou des membres qui y étaient (Eusebius, Athanasius ou Eustathius, par exemple) que le Concile aurait eu une part à jouer dans le choix ou l’établissement du canon des Écritures. Alors, d’où cette idée vient-elle ? Et bien, deux sources semblent pouvoir être à l’origine du mythe qui a fait boule de neige.
L’une des deux options est très ancienne alors que l’autre est plutôt contemporaine. La première est tirée d’une ligne dans le commentaire de Jérôme (347 à 420) sur Judith. Dans la préface de son œuvre sur Judith, Jérôme dit : « Mais puisque le Concile de Nicée est réputé d’avoir compté ce livre parmi les Écritures, j’ai acquiescé à votre requête (ou devrais-je dire ordre!). »
Il est important de noter que la déclaration de Jérôme ne signifie pas nécessairement que Nicée a choisi des livres, mais que les membres auraient pu avoir une discussion sur le sujet où certains pourraient avoir dit qu’ils considéraient certains écrits comme faisant partie de l’Écriture. Cela ne veut pas dire que ces écrits faisaient partie de l’Écriture et encore moins qu’ils ont accordé l’autorité de l’Écriture à ce document. Le contenu de cette citation seule est loin de tenir lieu de vote, duquel nous n’avons aucune preuve. Il également important de prendre en considération que des participants clés de Nicée comme Athanasius, Grégoire de Nazianzus et Hilary de Poitiers ont tous rejeté Judith des Écritures canoniques dans leurs listes canoniques subséquentes.
Sans oublier que Judith est un candidat douteux puisqu’il contient plusieurs erreurs graves d’histoire (disant que Nabuchodonosor était « roi de Ninive » et non de Babylone, par exemple) que des Juifs et des chrétiens ont caractérisé de hautement problématiques à travers les siècles. En considérant toutes les preuves que nous avons de Nicée, une hypothèse plausible serait que Jérôme a tout simplement fait une erreur, ou que sa déclaration n’avait pas pour but de faire allusion à un vote, mais plutôt à une discussion sur certains livres qui avaient une certaine autorité (pour en savoir davantage sur les intentions de Jérôme voir l’article d’Ed Gallagher dans le Harvard Theological Review). Quoi qu’il en soit, cette citation est peut-être ou peut-être pas le premier écho de la rumeur : « la Bible a été choisie à Nicée. » Personnellement, cependant, je ne crois pas que ce soit la meilleure hypothèse. Je crois que le récit vient d’une source plus récente que Jérôme de Stridon.
Le mythe moderne de Nicée
Contrairement à un commentaire de Jérôme, la façon dont l’histoire est présentée sous plusieurs formes modernes semble venir d’un manuscrit pseudo-historique grec du neuvième siècle connu sous le nom de Synodicon Vetus. Le Synodicon Vetus affirme présenter de l’information sur les conciles et les synodes du premier au neuvième siècle. Dans la portion concernant Nicée, on peut lire ce qui suit : « Le Concile a rendu manifeste les livres canoniques et apocryphes de la manière suivante : en les plaçant sur la table divine dans la maison de Dieu, ils ont prié, implorant le Seigneur que les livres d’inspiration divine demeurent sur la table et que les fallacieux se retrouvent sous la table et cela est arrivé. »
Selon ce document, la source du canon du Nouveau Testament est un miracle qui a eu lieu à Nicée lorsque les participants ont prié pour une collection de livres canoniques et apocryphes. Les documents qui étaient réellement « d’inspiration divine » sont demeurés sur la table alors que ceux qui étaient « fallacieux » se sont retrouvés sous la table par miracle.
Le Synodicon Vetus semble être passé entre les mains de nombreux individus à travers les siècles. Le document grec original se serait retrouvé en la possession d’un certain Andreas Darmasius au seizième siècle. Il a ensuite été acheté, édité, imprimé et publié par un homme allemand du nom de John Pappus au début du dix-septième siècle.
Le document publié par Pappus s’est finalement retrouvé entre les mains de nul autre que le penseur des Lumières françaises, Voltaire, vers la fin du dix-septième siècle. Dans le troisième volume du Dictionnaire philosophique de Voltaire, sous « Conciles », il dit : « Nous avons déjà dit que dans le document additionnel du Concile de Nicée, on relate que les pères, incertains devant le choix à faire entre les livres authentiques et les livres apocryphes de l’Ancien et du Nouveau Testament, ont déposé tous les livres sur l’autel et les livres qu’ils devaient exclure sont tombés au sol. Quelle pitié qu’une épreuve si sublime a été oubliée ! »
La publication du Synodicon Vetus au dix-septième siècle et l’usage de ses propos par Voltaire dans son Dictionnaire semblent être à l’origine du mythe moderne. Dan Brown ne l’a pas inventé, mais il a certainement saisi l’occasion d’en tirer profit. Depuis l’arrivée d’Internet, où la vérité et la fausseté peuvent rapidement prendre feu et où elles sont encore plus difficiles à séparer, la fable « le Concile de Nicée a choisi les livres de la Bible » perdure. Toutefois, lorsqu’on évalue les preuves de ce qui s’est passé à Nicée ainsi que la façon dont le canon biblique a été formé, il est évident que ceux qui s’intéressent à la vérité peuvent savoir ce qui s’est passé à Nicée où aucun livre n’a été ajouté ou arraché au canon des Écritures.
Conclusion
Les premières communautés chrétiennes étaient très préoccupées par la vérité, particulièrement quand il était question de la révélation de Dieu. Les discussions qui visaient à reconnaître (et non choisir) les livres inspirés par Dieu ont commencé des siècles avant Nicée et se sont poursuivies dans les décennies qui ont suivi. Néanmoins, nous pouvons affirmer de manière décisive que le Conseil de Nicée a cité l’Écriture du Nouveau et de l’Ancien Testament comme autorité en reconnaissant sa suprématie et sa juridiction. Les participants reconnaissaient la primauté que possédait l’Écriture puisqu’elle est inspirée par Dieu et autorité, ils n’ont pas inventé le statut qu’elle possédait déjà. Les vingt-sept livres du Nouveau Testament étaient lus, étudiés, prêchés et déclarés comme la Sainte Parole de Dieu des centaines d’années avant la naissance de ceux qui étaient présents à Nicée.
Les livres de l’Écriture n’ont pas été votés par une seule personne ou encore par un groupe unique. Les premiers chrétiens ont vu l’autorité qu’avaient certains livres et l’ont attesté. La Bible n’est pas une liste autoritaire de livres, mais elle contient plutôt une liste de livres qui font autorité. La fiabilité et l’inspiration reconnue de l’Écriture dure depuis des millénaires. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu de discussions à propos de ce qui faisait partie ou non de l’Écriture dans les siècles qui ont suivi la mort de Christ, au contraire. L’Église et ses dirigeants ont vérifié l’authenticité des livres et leur lien avec un apôtre ou avec quelqu’un qui connaissait un apôtre selon un processus long et minutieux. Il a fallu du temps pour que la poussière retombe sur le canon des Écritures. Mais, rien dans ce processus ne s’apparente au récit du Da Vinci Code.
Le chrétien moderne peut avoir confiance en la tradition historique des dirigeants d’Églises à Nicée, qui ont reconnu l’Écriture comme autoritaire, véridique et transformatrice.
Cet article a été initialement publié sur The Gospel Coalition Canada. La traduction est publiée ici avec permission.
Wes Huff
Wes Huff habite à Toronto avec sa famille. Il est conférencier, écrivain et chercheur pour Power to Change Students ainsi qu’un associé itinérant de Apologetics Canada. Il a complété un baccalauréat en sociologie à York University, une maîtrise en Études théologiques à Tyndale University et il complète actuellement un doctorat en études bibliques au Wycliffe College de l’University of Toronto.