La théologie biblique
Nous commencerons par la théologie biblique, puisque c’est ce dont nous parlons, plus ou moins, depuis l’introduction. J’ai déjà dit que la théologie biblique s’intéresse non seulement à ce que la Bible enseigne, mais aussi à la façon dont cet enseignement se révèle et se développe progressivement au cours de l’histoire. Il est désormais temps de donner une définition plus précise et plus formelle. Si seulement c’était aussi simple! Si vous effectuez une recherche sur l’histoire du terme, vous constaterez que l’on a presque autant écrit sur la définition de la théologie biblique que sur la théologie biblique elle-même.
Je ne prendrai pas la peine de présenter des définitions élaborées que je laisserai plutôt aux débats savants et au monde académique. Si cela vous intéresse, vous devriez investir dans des ouvrages tel que le Dictionnaire de théologie biblique1. Permettez-moi plutôt vous en proposer quelques-unes qui semblent couvrir tous les aspects essentiels parmi ceux qui ont une opinion élevée des Écritures. Chacun de ces aspects nous révèle quelque chose d’important sur ce qu’est la théologie biblique.
Le grand-père de la théologie biblique parmi les évangéliques, Geerhardus Vos, l’a définie ainsi: « La théologie biblique est la branche de la théologie exégétique qui traite du processus de l’autorévélation de Dieu contenue dans la Bible42. » Qu’est-ce que cela signifie? Cela signifie que la théologie biblique ne se concentre pas sur les soixante-six livres de la Bible, « le produit fini de [l’autorévélation de Dieu] », mais sur « l’activité divine » réelle de Dieu telle qu’elle se déroule dans l’histoire (et telle qu’elle est rapportée dans ces soixante-six livres). Cette définition de la théologie biblique affirme que la révélation est d’abord ce que Dieu dit et fait dans l’histoire, et seulement ensuite ce qu’il nous a donné sous forme de livre. Cela signifie que l’une des caractéristiques fondamentales de la théologie biblique est que son principe d’organisation est historique. La théologie biblique se déplace sur l’axe de l’histoire de la rédemption. Elle s’intéresse particulièrement au développement et par conséquent aux questions de continuité et de discontinuité, au passage de la graine à l’arbre.
Voici une autre définition. Don Carson dit que « la théologie biblique […] cherche à découvrir et à articuler l’unité de tous les textes bibliques mis côte à côte, en recourant principalement aux catégories qu’abordent ces textes3 ». Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie que la théologie biblique s’intéresse particulièrement aux divers contextes littéraires et historiques de l’histoire et tente ainsi de relater le sens de l’histoire dans les termes de l’histoire elle-même. Par exemple, la théologie biblique trace le développement du sacrifice et de l’alliance, non pas parce que ce sont des éléments contemporains particulièrement pertinents, mais parce que ce sont les éléments et le programme que l’histoire elle-même nous donne. Comme l’a résumé Tom Schreiner, la théologie biblique « demande quels sont les thèmes centraux pour les auteurs bibliques dans leur contexte historique et tente de discerner la cohérence de ces thèmes4 ».
Voici une autre définition. Selon Steve Wellum, la théologie biblique « soutient que la lecture de la Bible en tant qu’Écriture unifiée n’est pas seulement une option interprétative parmi d’autres, mais celle qui correspond le mieux à la nature du texte lui-même, compte tenu de son inspiration divine. En tant que telle [la théologie biblique], en tant que discipline, non seulement fournit la base pour comprendre comment les textes d’une partie de l’Écriture se rapportent à tous les autres textes, mais sert également de base et de soutien à toute théologie5… » Qu’est-ce que cela signifie? Cela signifie que la théologie biblique s’intéresse non seulement aux promesses et aux accomplissements prophétiques, aux types et aux antitypes, mais aussi à la démonstration de ces choses. Ainsi, malgré la diversité de la littérature, de l’histoire et des auteurs humains, la réalité d’une seule histoire émanant d’un seul esprit divin selon une seule volonté divine et souveraine est évidente pour tous. Comme l’observe à juste titre Don Carson, cela signifie que, comme la théologie systématique, la théologie biblique n’est pas simplement descriptive. Elle fait plutôt des « affirmations synthétiques sur la nature, la volonté et le plan de Dieu dans la création et la rédemption, et donc aussi sur la nature, le but et l' »histoire » de l’humanité6 ».
Comme vous pouvez le constater, ces définitions ne s’excluent pas mutuellement, mais chacune d’entre elles met l’accent sur un aspect différent de ce que nous appelons la théologie biblique. La meilleure façon de progresser est peut-être de s’en tenir à la définition la plus simple que j’ai trouvée (parce que c’est la mienne). La théologie biblique est l’approche qui vise à raconter toute l’histoire de toute la Bible en tant qu’Écriture chrétienne. C’est donc une histoire qui fait autorité sur nos vies et nous dit comment vivre, parce qu’elle est l’histoire de la gloire de Dieu dans le salut par le jugement.
La théologie systématique
Qu’en est-il de la théologie systématique? La définition est un peu plus facile cette fois-ci.
La définition la plus simple est peut-être celle que j’utilise lorsque j’enseigne ce sujet dans un cours. La théologie systématique est la démarche qui vise à résumer de manière ordonnée et complète ce que la Bible entière a à dire sur un sujet donné. En d’autres termes, la théologie systématique ne s’intéresse pas à la manière dont un sujet est développé au fil du temps ou de l’histoire de la Bible. Elle s’attache à prendre tout ce qui est dit sur le sujet, à le recueillir, à l’assembler, à le mettre en relation, puis à le résumer de manière exhaustive. La théologie systématique ne s’intéresse pas tant à l’histoire qu’au but ultime.
Mais bien sûr, la théologie systématique fait plus que résumer l’enseignement de la Bible sur des sujets aléatoires. Si les sujets étaient aléatoires, nous pourrions l’appeler « théologie désorganisée7 ». Traditionnellement, la théologie systématique a cherché à organiser les sujets eux-mêmes en s’assurant que tous les sujets majeurs et la plupart des sujets mineurs de l’Écriture soient couverts, puis à relier les sujets les uns aux autres de façon logique, de sorte qu’un système de pensée entier puisse être établi. En ce sens, la théologie systématique n’est pas une encyclopédie de la Bible qui nous fournirait des articles sur tous les sujets imaginables. Il s’agit plutôt d’un effort qui vise à rendre explicite ce que nous pourrions appeler la vision du monde de la Bible8. Lorsqu’un tel cadre pour comprendre qui est Dieu, qui nous sommes, d’où nous venons et où nous allons, est en place, il devient rapidement évident que la théologie systématique nous permet de réfléchir de manière biblique à toutes sortes de choses que la Bible n’aborde pas directement. Par exemple, qu’enseigne la Bible sur la psychologie, sur le génie électrique ou sur l’État-providence? Eh bien, rien de direct. Néanmoins, elle enseigne un grand nombre de principes indirectement, parce que la Bible, par le truchement de la théologie systématique, nous donne une vision du monde qui nous permet de réfléchir à ces questions.
Nous pouvons même aller plus loin. La théologie systématique ne se contente pas de résumer l’enseignement de la Bible sur un sujet donné, puis d’organiser ces sujets dans un cadre ou une vision du monde cohérente, mais elle cherche également à formuler ces résumés en doctrines précises et exactes qui définissent la limite entre la vérité et l’erreur, entre l’orthodoxie (la croyance juste) et l’hérésie. La théologie systématique cherche à faire des déclarations normatives. Voici un exemple de Wayne Grudem: l’affirmation selon laquelle « la Bible dit que quiconque croit en Jésus-Christ sera sauvé » est un « résumé parfaitement fidèle » de l’enseignement de la Bible sur le salut9. Mais si c’est tout ce que nous avons à dire sur ce sujet, alors tout le monde, des évangéliques aux catholiques romains, en passant par les mormons et les musulmans réfléchis, peut se rallier à cette déclaration. Pourquoi? Parce que nous n’avons pas précisé ce qu’est la foi, qui est Jésus-Christ, ce qu’est le salut, de quoi nous sommes sauvés et ce que signifie croire en Jésus. Pour se protéger contre l’erreur et communiquer la vérité qui sauve réellement, la théologie systématique va au-delà des résumés généraux pour aboutir à des formulations doctrinales précises et détaillées. Ce n’est pas un effort pour améliorer la Bible, mais pour être pleinement fidèle à ce que la Bible enseigne.
Enfin, la théologie systématique non seulement résume, organise et définit, mais cherche aussi à appliquer ces vérités à notre vie d’aujourd’hui. John Frame définit la théologie systématique comme « l’application de la Parole, par des personnes, au monde et à tous les domaines de la vie humaine10 ». Wayne Grudem note que « l’application à la vie est une partie nécessaire de la poursuite correcte de la théologie systématique11 ». Don Carson s’exprime ainsi: « Une théologie systématique digne de ce nom… cherche à articuler ce que dit la Bible d’une manière qui soit culturellement révélatrice, culturellement prophétique. » Ses intérêts ne sont ni obsolètes ni traditionalistes12. La théologie systématique a plutôt un fort souci de pertinence contemporaine. Son but est de nous enseigner non seulement la vérité intemporelle, mais aussi ce que signifie croire et obéir à cette vérité intemporelle aujourd’hui.
Pourquoi les théologiens mettent-ils l’application au cœur de la théologie systématique? Pour la simple et bonne raison que « nulle part dans l’Écriture nous ne trouvons de doctrine étudiée comme une fin en soi113 ». En ce sens, la théologie systématique n’est en réalité rien d’autre qu’une démarche visant à obéir au Grand Mandat. Si la théologie biblique tente de comprendre comment le Grand Mandat s’inscrit dans le plan global de rédemption de Dieu, la théologie systématique tente d’expliquer ce que signifie pour nous le fait d’enseigner tout ce que Jésus a ordonné et d’y obéir.
Relier les deux
Si ce sont là les définitions de la théologie biblique et de la théologie systématique, alors comment se rejoignent-elles? Il y a deux réponses différentes à cette question, mais toutes deux sont pertinentes.
D’une part, elles sont liées par une trajectoire d’autorité commune. Cette trajectoire naît dans l’Écriture, la source autoritaire et normative de toute notre théologie. Elle sort ensuite de l’Écriture au moyen de notre exégèse d’un passage particulier. Lorsque nous rassemblons tous les passages de la Bible, elle prend forme dans notre théologie biblique. Enfin, la trajectoire culmine dans la théologie systématique, lorsque nous essayons de résumer et d’appliquer la vérité de l’Écriture à notre vie aujourd’hui. En ce sens, la théologie biblique tend à être plus fondamentale, tandis que la théologie systématique s’appuie sur les résultats de la théologie biblique et est elle-même guidée par les horizons interprétatifs établis par la théologie biblique. Comme l’a si bien dit Carson, « contrairement à la théologie biblique, la théologie systématique n’est pas tant une discipline médiatrice qu’une discipline culminante ». Et pourtant, puisque toutes deux trouvent leur source d’autorité dans l’Écriture elle-même, toutes deux constituent la théologie normative pour l’Église chrétienne14.
Or, d’autre part, elles sont également liées par une trajectoire d’utilisation (ou de but). La théologie biblique nous plonge dans l’histoire de la Bible afin de décrire l’enseignement de la Bible dans ses propres termes. C’est une discipline herméneutique, une façon de lire et d’étudier la Bible. Le but de la théologie biblique est par conséquent une compréhension intérieurement cohérente de la Bible. La théologie systématique fait la synthèse de la vision du monde de la Bible. C’est une discipline d’application, une façon de résumer et de représenter l’enseignement de la Bible dans « une interaction consciente avec [notre] culture15 ». Le but de la théologie systématique est donc l’articulation extérieurement rationnelle de la vérité.
En fin de compte, nous ne pouvons pas avoir l’une sans l’autre. La théologie biblique est la façon dont nous lisons la Bible. La théologie systématique est la façon dont l’histoire de la Bible se révèle être normative dans nos vies. Dire qu’on veut l’une, mais pas l’autre, montre simplement qu’on ne comprend ni l’une ni l’autre. Chacun possède à la fois une théologie systématique et une théologie biblique, qu’il s’en rende compte ou pas. Ce que nous voulons, cependant, c’est que toutes deux soient fidèles aux Écritures – l’histoire biblique et la vision du monde biblique. Nous ne comprendrons pas cette vision du monde si nous ne comprenons pas l’histoire dont elle est issue. En revanche, si nous n’avons qu’une histoire, comment cette histoire pourra-t-elle jamais répondre aux préoccupations contemporaines de notre propre vie?
Michael Lawrence, Guide pratique de théologie biblique : un manuel pour appliquer la Bible à la vie d’Église et au ministère pastoral, trad. Jean Maxime Pierre-Pierre, Éditions Cruciforme, 2022, p. 112-118.
Pour en savoir plus sur le livre, cliquez sur le lien suivant :
Guide pratique de théologie biblique
- Excelsis, 2013. ↩
- Cité dans Vern Poythress, « Kinds of Biblical Theology» [« Types de théologie biblique »], trad. libre, Westminster Journal of Theology 70, 2008, p. 130. ↩
- D. A. Carson, « Systematic Theology and Biblical Theology » [« Théologie systématique et théologie biblique »], dans NDBT, trad. libre, p. 100. ↩
- Thomas Schreiner, « Preaching and Biblical Theology » [« La prédication et la théologie biblique »], The Southern Baptist Journal of Theology 10, trad. libre, 2006, p. 22. ↩
- Stephen J. Wellum, « Editorial: Preaching and Teaching the Whole Counsel of God » [Éditorial : prêcher et enseigner tout le conseil de Dieu], SBJT 10, trad. libre, 2006, p. 2-3. ↩
- Carson, NDBT, trad. libre, p. 100. ↩
- Wayne Grudem, Systematic Theology: An Introduction to Biblical Doctrine [Théologie systématique], trad. libre, Grand Rapids, Mich., Zondervan, 1994, p. 24. ↩
- Stephen J. Wellum, unpublished Systematic Theology 1 Class Lectures [Cours de théologie systématique non publiés, 1er cours], 2006. ↩
- Grudem, p. 24. ↩
- John Frame, Salvation Belongs to the Lord: An Introduction to Systematic Theology [Le salut appartient à l’Éternel: une introduction à la théologie systématique], trad. libre, Philipsburg, N. J., P&R, 2006, p. 79. ↩
- Grudem, p. 23. ↩
- Carson, p. 101. ↩
- Grudem, p. 23. ↩
- Carson, p. 101-102, voir Schreiner, p. 23. ↩
- Carson, trad. libre, p. 102-103. Je suis aussi redevable envers Stephen Wellum pour notre conversation stimulante et pertinente sur la manière dont ces deux disciplines sont liées l’une à l’autre. ↩
Michael Lawrence
Michael Lawrence (Ph. D., University of Cambridge ; M. Div., Gordon-Conwell Theological Seminary) est le pasteur principal de la Hinson Baptist Church à Portland, en Oregon. Il est également membre du conseil de The Gospel Coalition. Lui et sa femme, Adrienne, ont cinq enfants.