Les défis de l’herméneutique (partie 9): Comment passer de l’herméneutique à l’homilétique? (Partie 2)

Introduction

Dans le dernier numéro, nous avons relevé à quel point la prédication biblique doit être prise au sérieux. Puisque cette dernière est si importante, nous ne pouvons minimiser l’effort et le travail en amont. Afin de s’assurer de la rigueur dans cette entreprise, nous avons proposé cinq éléments que le prédicateur doit favoriser lors de l’élaboration de sa prédication. Dans la première partie de ce numéro, nous nous sommes concentrés sur l’interprétation christocentrique. Dans cette deuxième partie, nous discuterons des quatre autres éléments, c’est-à-dire de l’importance de favoriser une prédication inductive, textuelle, structurée et spirituelle.

1. Favoriser l’étude inductive

Qu’est-ce que l’étude inductive ?

« L’étude inductive » consiste à scruter un texte dans le but de comprendre le sens qu’il entend exprimer. À l’opposé, « l’étude déductive » part d’une déduction concernant le sens du texte et tente, à travers son étude, de la démontrer. L’un commence avec un texte, l’autre commence avec une hypothèse. Le problème avec une approche déductive de la Bible c’est qu’il est dangereux d’induire un sens au texte pour ensuite partir à la chasse aux indices qui vont soutenir notre thèse. Trop de mal a été fait au nom de la Bible et dont l’interprétation est appuyée par des versets. Et si nous sommes honnêtes, nous-mêmes avons plus tendance à vouloir supporter nos idées qu’au contraire chercher à défier nos idées préconçues afin de voir si elles s’effondrent ou se confirment1.

Le danger qui guette l’exégète c’est celui de faire de « l’eiségèse » au lieu de faire une véritable exégèse dont le but est d’arriver à extraire l’idée d’un texte. L’eiségèse consiste à faire entrer de force nos idées dans le texte. Quelqu’un d’habile pourrait à peu près faire dire n’importe quoi à la Bible, pour peu qu’il rassemble assez de versets pris hors de leur contexte afin de soutenir ses propos. De manière consciente ou non, il nous arrive tous de présupposer du sens d’un texte et de l’étudier en se doutant déjà des conclusions. Nous avons besoin d’une méthode inductive qui sait respecter le texte biblique. La démarche présentée tout au long de ces articles entend permettre au texte biblique de s’exprimer librement.

Attention : Le christocentrisme est-il une forme d’eiségèse ?

Peut-être que certains se demanderont, mais ce point ne vient-il pas invalider le précédent ? C’est-à-dire le fait de favoriser une interprétation christocentrique du texte biblique pour sa prédication est-il en contradiction avec le fait de rechercher une étude et une interprétation inductive du texte biblique ? Par conséquent, le christocentrisme est-il une forme d’eiségèse ? La réponse : Non, pas du tout ! Pourquoi ? Eh bien, parce que c’est le texte biblique lui-même et ses auteurs (humains et divin) qui nous demandent de l’interpréter à la lumière de Christ. Pour être christocentrique il faut comprendre que la Bible est christotélique, c’est-à-dire qu’elle a pour but de révéler et de pointer à Jésus. Rappelez-vous des présupposés évangéliques, la Bible est l’œuvre de l’inspiration de Dieu, elle est donc dans son ensemble cohérente et harmonieuse. Donc, la Bible interprète la Bible. Elle devient le standard qui permet de la comprendre, autrement dit, elle nous dit comment elle veut être lue. Lorsque je lis l’Ancien Testament, je dois le faire à la lumière du Nouveau. Et lorsque je lis le Nouveau, je le fais en gardant en tête qu’il est bâti sur l’Ancien. Or, le Nouveau Testament nous montre que Jésus lui-même considérait la Bible comme un témoignage de lui (Jn 5.39), il l’utilise même afin de montrer que Moïse et les prophètes (expression qui résume l’AT) parlaient de lui (Lc 24.18-25). Les Actes nous montrent aussi que l’Église primitive prenait à cœur cette vérité (Ac 8.1-8). C’est pourquoi elle est devenue une règle d’interprétation dans l’histoire de l’Église. La Bible interprète la Bible et elle nous dit de l’interpréter à la lumière de Jésus. Paul va même nous révéler que la loi servait de guide, de pédagogue pour nous mener à Jésus (Ga 3.24), c’était son but, son télos. Il va aussi nous rappeler que lire l’AT sans y voir Jésus c’est comme lire avec un voile sur les yeux (2 Co 3.14). Interpréter la Bible sans être christocentrique c’est cacher le véritable sens et le but des Écritures à son auditoire. Nous convenons tous que le sens d’une œuvre est intimement lié à l’intention de son auteur ; que voulait-il nous communiquer ? L’intention de la Bible, de Dieu et de ses auteurs inspirés était de nous révéler Jésus. Lafontaine voulait enseigner des valeurs morales par des histoires imagées, si l’on prend l’une de ses fables pour enseigner sur le comportement animalier, nous passons à côté du message, du but, du télos, donc de l’intention de l’auteur. Les auteurs de l’AT étaient messianocentriques, c’est-à-dire qu’ils écrivaient en espérant fermement la venue du messie. Leurs écrits inspirés par Dieu transpirent cette attente. Maintenant que nous revisitons rétrospectivement ces écrits, ils nous en voudraient énormément que nous les interprétions en faisant fide leur télos, surtout que maintenant nous avons une vision complète de ce messie.

Quelques avantages à l’étude inductive

L’étude inductive présente plusieurs avantages non négligeables pour les prédicateurs. 1) Elle est un antidote à l’hérésie. Respecter le texte nous préserve d’emblée d’inclure dans notre message des idées fausses et indéfendables. 2) Elle est un antidote à la répétition. Lorsqu’on repose sur ses propres idées, on en fait vite le tour. Respecter le texte va nous mener à enseigner des sujets différents et variés et nous forcer à nous faire une tête sur des positions que nous n’aurions jamais abordées. 3) Elle est un antidote à l’égocentrisme. Nous avons tendance à toujours parler des sujets qui nous intéressent et que nous aimons le plus. Une bonne méthode inductive nous encadre afin de laisser le texte dicter la thématique abordée. 4) Elle est un antidote à nos limitations. Le désir de rendre compte de l’ensemble de la Bible et non pas seulement des textes ou sujets que nous préférons va forcément nous amener à dépasser nos propres plafonds et étudier davantage. 5) Elle est un antidote à la critique. Si vous prêchez l’idée du texte et non votre opinion, les gens ne seront jamais en colère contre vous, mais contre l’auteur du texte seulement. 6) Elle est un antidote au péché. Tel que Paul et Pierre l’enseignent dans leurs épîtres, que ce soit par paresse ou de manière intentionnelle, il est mal de dispenser maladroitement la Parole de Dieu.

2. Favoriser le sermon textuel

Qu’est-ce que la prédication textuelle ?

Afin de mieux saisir ce qu’est la « prédication textuelle », il faut au préalable savoir identifier les différents types de prédications. Le nombre peut varier d’un auteur à l’autre, mais on compte en général cinq types de prédications. 1) La prédication « textuelle » se veut une prédication qui décortique et explique le sens d’un court texte biblique. En général, ce type de sermons se cantonne à quelques versets seulement. 2) La prédication « exposée » se veut une prédication qui expose de manière succincte les vérités fondamentales d’un texte biblique plus ou moins long. En général, ce type de sermons couvre un chapitre ou plus. 3) La prédication « biographique » se veut une prédication dont un personnage biblique sert de thème unificateur. Par exemple, un message qui tournerait autour de Joseph _serait considéré comme biographique. 4) La prédication « _thématique » _ou « _topique » est un type de prédication où un sujet biblique sert de thème unificateur.
5) Finalement, la prédication « doctrinale » est une doctrine biblique qui sert de thème unificateur.

Aux yeux du présent auteur, il n’existe véritablement que deux types de prédications : 1) La prédication textuelle et 2) la prédication thématique. La prédication textuelle ou par exposé sert le même motif : lire et expliquer le sens propre d’un passage court, moyen ou long des Écritures. Au contraire, la prédication thématique, biographique ou doctrinale construit son message sur un thème. Il semble que la prédication thématique est très populaire dans les cercles évangéliques et est séduisante pour les jeunes prédicateurs. Pourtant, elle présente de grands pièges dans lesquels il est facile de tomber.

Attention à la prédication thématique

En effet, la prédication thématique se présente trop souvent comme une facilité puisque le jeune prédicateur n’a qu’à s’exprimer au sujet de ce qu’il connaît, mais elle camoufle de grandes difficultés : 1) Il est bien souvent impossible de maîtriser tous les textes bibliques relatifs à un seul thème, ce qui augmente la marge d’erreur du prédicateur. 2) Les prédicateurs, surtout les jeunes, peuvent se trouver rapidement emprisonnés dans ce modèle. Plus encore, une fois les mauvais plis bien installés, il devient plus dur de les éliminer quand le jeune prédicateur devient plus vieux. 3) Après un certain temps, le prédicateur a épuisé ses connaissances et devient répétitif. Il a tendance à parler de ce qu’il connaît ou de ce qu’il aime. Puisqu’il prêche à partir d’un thème plutôt que d’un texte, il devient vite limité. 4) Ce mode de prédications peut encourager l’auditoire à des lectures atomisantes et utilitaires de la Bible sans l’aider à mieux la comprendre. Ce genre de messages consommé en trop grande quantité semble indiquer que la Bible ne sert qu’à nous prodiguer de bons conseils et qu’on peut citer des versets hors de leurs contextes. Il est possible de faire de la bonne thématique, mais cela demande beaucoup d’expérience et de connaissance générale de la Bible. Il est plutôt suggéré pour le jeune prédicateur de favoriser la prédication textuelle.

Favoriser la prédication textuelle

Il existe de nombreux avantages non négligeables pour lesquels il vaudrait mieux favoriser le sermon textuel : 1) Le prédicateur se trouve renouvelé de message en message. Il prêche le plein conseil de Dieu et ne se retrouve plus limité par ses connaissances. Selon certaines études, un prédicateur ne prêche, dans sa vie, qu’une douzaine de sermons qu’il répète en boucle sous une forme ou une autre2. La prédication textuelle est la discipline qui permet de combler cette lacune3. 2) C’est le texte qui dicte les sujets et la manière de les aborder et non le prédicateur. Ce dernier va devoir sortir de sa zone de confort, mais il va rapidement se construire une théologie biblique robuste. 3) Le sermon textuel permet d’aborder des sujets que le prédicateur n’aurait jamais abordés par lui-même. La prédication textuelle nous permet de dépasser nos limites. Autrement dit, c’est Dieu, à travers sa Parole, qui fixe l’agenda de l’Église4. 4) Puisque le prédicateur ne se concentre que sur un seul texte, la marge d’erreur est bien plus faible. Il faut apprendre à mettre nos énergies au bon endroit. 5) Le peuple apprend comment lire et comprendre sa Bible. Alors que la majorité des chrétiens dans l’Église sont analphabètes de la Bible, ce type de sermons permet d’apprendre au peuple à la fois ce qu’est la Bible et comment la lire. 6) Le prédicateur honore Dieu et démontre au peuple qu’il a une pleine confiance dans le plein conseil de Dieu5. 7) Le prédicateur peut aussi se cacher entièrement derrière l’autorité de la Bible, ce n’est pas contre lui que quelqu’un pourrait s’opposer, mais contre la Parole inspirée de Dieu6. Du fait de son exemple, le prédicateur enseigne ainsi le peuple à reconnaître la pleine autorité, non pas de ses opinions, mais bien de toutes les Écritures7.

La prédication textuelle, ce n’est pas nouveau !

Il n’y a rien de nouveau sous le soleil. D’Esdras (Né 8.8) à Jésus (Lc 24.17-47), en passant par les apôtres (Ac 17.22-31), on retrouve partout dans la Bible la prédication textuelle8. L’exemple d’Esdras est simple, mais pas simpliste ; il lisait, il expliquait et le peuple comprenait. La plupart des grands prédicateurs de l’histoire ont fait de la prédication textuelle et inversement, la pathologie de plusieurs églises d’hier et d’aujourd’hui a pour origine une prédication non-textuelle9.

En effet, Hugues Old est un auteur qui s’est intéressé particulièrement à la prédication et il a notamment écrit une série magistrale de sept volumes sur la question10. Ce dernier démontre bien comment, du début de l’Église primitive jusqu’au Ve siècle, la prédication textuelle était la norme, c’était la lectio continua. Les fêtes religieuses se sont tant multipliées à l’époque médiévale que la lectio continua s’est rapidement faite remplacer par la _lectio selecta_11. La prédication textuelle ne s’est pas pour autant perdue dans la suite de l’histoire de l’Église. Elle est revenue en force dans le dernier siècle avec de grandes têtes d’affiche qui l’ont popularisée. On a qu’à penser à D. M. Lloyd-Jones, James M. Boice, John MacArthur, John Stott, Dick Lucas, Alan M. Stibbs et bien d’autres12.

La survie ainsi que le retour en force de cette discipline ne sont pas surprenants, car comprendre l’intention de l’auteur et l’expliquer à la jeune génération de sorte qu’ils puissent appliquer la Bible à leur vie est l’essentiel du travail du prédicateur. Comme le dit si bien Miguel Nunez, « Si l’on croit que la Parole de Dieu a été inspirée de manière infaillible et qu’elle est l’expression de la pensée, du cœur et de la volonté de Dieu, on doit faire attention à ne pas ajouter ou enlever à ce que nous avons reçu de lui13 ».

Permettez-nous de clarifier le statut d’un prédicateur : la prédication textuelle concerne la vérité, l’autorité et la puissance divine. Le prédicateur, quant à lui, ne possède aucun de ces trois éléments. C’est la vérité de Dieu contenue dans le texte, c’est l’autorité souveraine de Dieu sur sa création qui est déclarée dans la Parole et c’est la puissance de Dieu uniquement qui peut produire le salut et la vie éternelle dans la vie des gens. Tout ceci est attaché intrinsèquement à la Parole véritable de Dieu, c’est pourquoi Paul exhorte Timothée à la dispenser droitement, parce que la puissance du salut s’y trouve. Alors pourquoi voudrions-nous la diluer avec des prédications thématiques qui vont partout et nulle part à la fois, ou avec des études déductives qui imposent au texte nos propres impressions et intuitions ?14

Le plus grand défi de la prédication textuelle est de commencer l’étude inductive d’un texte que l’on pensait bien connaître. Il faut tenter d’oublier ce que l’on pense du texte, ce que l’on pense que le peuple pense du texte, ce que l’on voudrait que le texte dise et ce que l’on pense que le peuple voudrait que le texte dise. Le grand combat se joue ici : serais-je le maître, serait-ce le peuple ou serait-ce le texte le maître ?15 Deux grandes tentations reviennent constamment lorsqu’on approche un texte ; soit qu’on désire produire un message impressionniste qui va plaire au peuple, d’autres assimilent leur propre esprit à celui du Saint-Esprit et prêchent leurs propres intérêts et intuitions. C’est surtout la pratique de la Lectio Divina qui est à l’origine, chez les croyants, d’une lecture intuitive du texte. Afin d’encourager un culte spirituel personnel, dans le passé, on a encouragé des croyants à lire la Bible, la méditer, la prier et puis contempler16. Bien que cette méthode ait eu pour effet de réconcilier le peuple avec la Bible, elle a eu pour conséquence malsaine d’opposer la spiritualité à la recherche du sens du texte. En effet, la Lectio Divina semble substituer l’intuition à la recherche, ce qui donne l’impression au croyant que ce qu’il y a dans son esprit est l’équivalent de l’Esprit de Dieu et l’amène à assimiler ambiance, émotion, impression et illumination comme un véritable savoir17. Malheureusement, les gens sont en quête constante de nouveauté, mais une vérité n’est jamais nouvelle ; au contraire, nous voulons une vérité qui soit vieille et éternelle !

3. Favoriser la structure homilétique

Qu’est-ce que la structure homilétique ?

Une fois que l’étudiant a choisi de prêcher de manière textuelle (c’est-à-dire de sélectionner une portion des Écritures et d’en exposer le sens) et qu’il a par la suite appliqué une méthode d’étude inductive, telle qu’enseignée dans cet article, vient le temps d’agencer ses recherches sous la forme d’une prédication à l’aide de la « structure homilétique ». La structure homilétique est une sorte de canevas de communication ecclésiale, éprouvée par le temps et approuvée par l’usage dans le monde de la prédication, qui sert surtout à organiser avec clarté et diffuser avec précision la révélation biblique. Bien la maîtriser peut permettre une communication claire et précise du texte biblique, mais la négliger peut la ruiner.

Certains méprisent la structure homilétique, car ils ne veulent pas limiter leur créativité. D’un, il est important d’apprendre à marcher avant de courir. De deux, Dieu résiste aux orgueilleux, mais fait grâce aux humbles. C’est Spurgeon, surnommé le prince de la prédication, qui racontait cette histoire en exemple : un jour, dans un cours de prédication, un jeune monta en chaire tout sûr de sa personne. Une fois engagé dans son message, la confusion s’installa, il commençait à se mêler dans ses notes. L’échec était si lamentable qu’il quitta brusquement tout honteux la chaire. Spurgeon prit la parole et dit : « Peut-être que si cet étudiant était monté comme il est descendu, il serait descendu comme il est monté ». C’est avec beaucoup d’humilité et de respect que la prédication doit être abordée. Et de deux, retenez qu’un sujet moyen bien communiqué fera toujours plus de chemin qu’un bon sujet mal communiqué. La structure homilétique fournit une méthode de communication opérationnelle.

La structure homilétique18

Les éléments de la structure homilétique

On retrouve dix éléments dans une structure homilétique19 :

1) Le « titre » est souvent positionné à la fin de l’introduction, il permet de résumer l’essence du message et d’introduire le texte utilisé20. Il est souvent un outil promotionnel afin d’annoncer d’avance le sujet qui sera abordé, afin de susciter l’intérêt chez les gens.

2) Du choix du « texte » biblique dépendent la thématique principale et les points qui servent à diviser ce thème en sous-thèmes. Il est important de bien étudier le texte et d’en dégager l’idée principale. S’il semble avoir deux idées principales qui se chevauchent, peut-être avez-vous mal fait le découpage de votre texte. Si une unité littéraire a bien été découpée, une idée maîtresse devrait normalement s’en dégager. Une fois ce thème révélé, il est important de construire un message cohérent autour de ce dernier. Un bon sermon bien préparé et bien communiqué peut être résumé en une seule réflexion significative21. S’il y a plusieurs points ou sous-thèmes, ces derniers ne servent qu’à expliciter le thème principal. Les points d’une prédication sont les colonnes sur lesquelles s’appuie l’idée maîtresse d’un sermon.

Lors de l’étape d’exégèse où l’on tente d’extraire du texte le plus d’informations utiles, H. Robinson propose, afin de mieux identifier l’idée maîtresse d’un texte, de chercher à relever le sujet ainsi que le complément _du passage étudié. Le sujet répond à la question : « De quoi l’auteur parle-t-il exactement ? », alors que le complément répond à la question : « Qu’est-ce que l’auteur dit à propos du sujet dont il parle ? »22. Prenons l’exemple du prophète Habacuc (1.2-4). Le Sujet est la lamentation d’Habacuc à propos de l’injustice qu’il voit en Juda. Le Complément est un questionnement tourné vers Dieu, demandant pourquoi le Dieu saint ne juge pas la nation. L’idée du passage serait donc : _Habacuc se plaint que son Dieu qui est juste ne punisse pas le péché de Juda. On peut refaire l’exercice avec la réponse de Dieu aux versets 5 à 7. Le Sujet est comment Dieu ramènera le jugement en Juda. Le Complément explique que Dieu utilisera les Babyloniens pour punir son peuple. L’idée du passage est donc : Dieu utilisera les Babyloniens pour ramener Juda de son péché. Cet exercice peut toujours être fait sur de petites, moyennes et grandes portions de texte.23

3) « L’introduction » est un court moment au début du message qui est crucial, durant lequel le prédicateur a la tâche d’introduire son thème/texte, mais surtout de capter l’attention du public24. C’est lors des cinq premières minutes que l’auditoire se demande s’il portera attention ou non au reste du message. Il est suggéré de connecter rapidement avec le public durant ce court temps. Commencer avec une illustration qui sert à imager le thème principal du message, ou bien une anecdote personnelle peut être une manière de rapidement connecter. Le but étant surtout de retenir l’intérêt, centrer le message, installer la scène, prévenir des idées maîtresses à venir, annoncer le passage à lire ainsi que le titre25. Pour arriver à captiver, on peut facilement utiliser des histoires personnelles, des déclarations marquantes, des questions d’actualités, explorer des besoins communs, traiter d’une contradiction apparente ou offrir la résolution d’une difficulté26.

4) La « phrase thématique » : qu’elle soit verbalisée ou non, cette phrase sert à résumer le message et elle constitue le fil rouge qui permet de rassembler tous les points/sous-thèmes sous la bannière d’un seul thème principal27. La phrase thématique est aussi parfois appelée « proposition ». Quel est le but ultime de votre message ? S’il n’était qu’un seul point, quel serait ce point ? Ainsi, tous les autres “sous-points” viennent naturellement s’attacher à cette proposition. Une bonne phrase thématique doit expliquer le “quoi”, l’application ou l’action attendue ainsi que le “pourquoi” qui est le principe théologique intemporel principal du texte qui est ressorti lors de l’exégèse. Le “quoi” et le “pourquoi” peuvent facilement être rapprochés des fameux “impératifs” et “indicatifs” bibliques que nous allons traiter dans la prochaine section concernant l’herméneutique christocentrique. Nous verrons que les impératifs bibliques découlent des indicatifs ; autrement dit, Dieu accomplit une œuvre et en réponse à cette œuvre, un fruit devrait prendre place dans la vie du croyant. Pour le moment, il est important de retenir que le “quoi” correspond à l’impératif biblique, alors que le “pourquoi” correspond plutôt à l’indicatif biblique.

Une proposition peut aussi bien être formulée sous une forme “consécutive” que “conditionnelle”, tant et aussi longtemps qu’on y retrouve le “quoi” et le “pourquoi”. Ainsi, on pourrait autant proposer “Parce que Jésus demande à ses disciples de proclamer l’Évangile, il nous faut témoigner du Christ là où nous sommes” que “Puisque Jésus seul peut offrir le salut, il nous faut faire connaître Christ au monde28.

Une bonne exégèse permet de bien comprendre le principe intemporel du texte. Une bonne herméneutique christocentrique permet de bien comprendre quel élément de la nature limitée, pécheresse et dysfonctionnelle de l’homme le texte désigne et quelle est la réponse de grâce qu’offre la croix. Une bonne théologie pratique permet de bien circonscrire dans quel contexte analogue nos contemporains peuvent appliquer ce principe. Finalement, une bonne homélitique permet de formuler une proposition concise qui résume le “quoi” et le “pourquoi” de cette application. Ainsi, l’ensemble des points du message pourront naturellement venir se greffer à cette proposition. C’est ce produit fini, qui unit l’ensemble des points de la prédication, que nous nommons “phrase thématique”.

Reprenons l’exemple de nos deux propositions, l’une étant consécutive et l’autre conditionnelle29:

Phrase thématique 1

Proposition : Parce que Jésus demande à ses disciples de proclamer l’Évangile, il nous faut témoigner du Christ là où nous sommes.

  1. Parce que Jésus demande à ses disciples de proclamer l’Évangile, il nous faut annoncer le Christ même dans les situations difficiles.
  2. Parce que Jésus demande à ses disciples de proclamer l’Évangile, il nous faut annoncer le Christ même à des personnes difficiles.
  3. Parce que Jésus demande à ses disciples de proclamer l’Évangile, il nous faut le faire malgré nos propres difficultés.

Phrase thématique 2

Proposition : Puisque Jésus seul peut offrir le Salut, il nous faut faire connaître Christ au monde.

  1. Puisque Jésus seul est l’auteur du Salut, il nous faut faire connaître le Christ au monde.
  2. Puisque Jésus seul possède le Salut, il nous faut faire connaître le Christ au monde.
  3. Puisque Jésus seul accorde le Salut, il nous faut faire connaître le Christ au monde.

5) Les « points » découlent naturellement du nombre de sous-thèmes que le texte choisi contient. Il est suggéré d’identifier une unité thématique, puis de diviser son message en sous-unités thématiques30. Chaque point est construit de trois éléments : une explication, une illustration et des applications.

Une prédication peut avoir trois points, mais pas trois sujets différents. Une prédication qui aurait les points suivants : 1) Dieu est amour ; 2) Dieu est juste ; 3) Dieu est souverain, ne serait pas une prédication prête à être prêchée tant et aussi longtemps que le prédicateur n’a pas compris que le thème qui unit son message est “la nature de Dieu”31. C’est d’ailleurs la phrase thématique ou la “proposition” qui permet d’établir le but du message, l’essence de ce qui sera communiqué et qui confère l’unité globale qui permet d’attacher toutes les ficelles de la prédication ensemble. Le message devient plus clair pour le prédicateur et pour ceux qui écoutent.

En ce qui concerne le nombre de points, il n’y a pas de règle à ce sujet. Le texte et le thème principal doivent servir à déterminer les points ; ces derniers doivent découler naturellement du texte. Toutefois, d’un prédicateur à l’autre, un même texte peut se décliner différemment. Un prédicateur plus systématique pourrait voir davantage de points qu’un autre qui va réunir deux ou trois idées sous un même point thématique. On constate néanmoins que la majorité des messages tourne autour de trois points. Il semble que cette formule soit tout à fait organique et intuitive. Bien souvent, une structure en trois points permet d’exprimer les concepts naturels d’introduction, de développement et de conclusion. Du point de vue du développement des idées, cette structure tripartite traduit aussi l’exposition du problème, de la solution et des effets32. Il est intéressant de noter que même si un prédicateur produit plus de trois points, la progression de son message ressemble tout de même à celle du message en trois points. Un message en deux points, quant à lui, produit l’effet du miroir. C’est pourquoi, si l’un des deux points est disproportionné par rapport à l’autre, le message semblera incomplet33. Un message à deux points doit être bien balancé.

6) « L’explication » est un court moment que l’on retrouve dans chaque point où l’on explique le contexte ainsi que le sens du texte, afin d’exposer la vérité intemporelle contenue en celui-ci34. L’explication permet de répondre aux questions telles « Que veut dire ce texte ? ou Que se passe-t-il dans ce texte ? »35. Il est suggéré de prendre en considération plusieurs éléments. Il ne faut pas prendre pour acquis que l’auditoire connaît bien sa Bible ; soyons toujours clairs et missisonnels. Aussi, le temps d’attention du public est très limité, soyons-en conscients. C’est généralement lors de l’explication que le nécessaire de notre étude inductive sera le plus pertinent. On voudra tout dire, il faut surtout apprendre à synthétiser, aller droit au but et ne garder que l’essentiel.

7) « L’illustration » permet de rendre vivante et concrète la vérité mise en lumière lors de l’étape de l’explication36. L’illustration répond à la question « Quel élément ou quel événement de la vie ressemble à la vérité intemporelle du texte ? »37. Comme c’était le cas avec l’explication, il est aussi suggéré de considérer plusieurs éléments. Ne jamais utiliser la Bible pour illustrer la Bible, vous allez perdre votre public. Le but de l’étape d’illustration est de justement trouver des échos actuels au message biblique ancien. L’humour permet de relâcher la pression et une meilleure rétention de l’information. Un bon prédicateur en milieu francophone se doit d’apprendre à utiliser l’outil de l’humour et l’illustration est souvent le meilleur endroit pour cela. Les anecdotes personnelles augmentent la connexion avec le public. On peut joindre les deux derniers conseils ; rire de nous-mêmes est très gagnant. Mieux vaut inspirer le public avec nos faiblesses que de les écraser avec nos réussites. Il est bien de varier les types d’illustrations afin de solliciter tous les sens et les différents types d’intelligences.

8) « L’application » est le moment crucial du message où l’on donne des occasions concrètes et quotidiennes au public de mettre en pratique la vérité du texte38. L’application répond à la question « Qu’est-ce que l’auditoire peut apporter chez lui une fois le message terminé ? Comment l’auditoire peut-il continuer à vivre ce message lundi matin ? »39 Afin de trouver des applications, il faut être en mesure de bien distinguer entre le descriptif et le prescriptif, puis entre le contingent et le permanent dans le texte. Pour y arriver, on peut utiliser comme outil l’échelle d’abstraction40. Cette échelle sert à remonter de l’élément le plus concret et le plus spécifique vers l’élément de la chaîne le plus abstrait et le moins spécifique. Voici un exemple qui part avec des races de chiens et remonte jusqu’à la grande catégorie des matières vivantes.

Dans le cadre de la Bible, le but est de distinguer le principe biblique de l’application spécifique, ensuite on veut établir un pont entre l’application spécifique contextuelle à l’époque de la Bible et une situation contextuelle analogue à notre génération.

Prenons comme exemple le grand classique des viandes sacrifiées aux idoles que l’on retrouve en Romains. Dans le contexte de l’époque, les bouchers avaient bien souvent, au préalable, offert leurs viandes en sacrifice à des dieux. Paul confirme l’idée que le chrétien est libre d’en manger, car aucun dieu ni démon n’a de pouvoir sur un enfant de Dieu. Néanmoins, pour certains frères plus faibles, voire des inconvertis, un chrétien qui mangerait des viandes sacrifiées aux idoles pourrait devenir une occasion de chute. C’est la raison pour laquelle Paul nous invite dans ce texte à examiner notre conduite, notre conscience et notre désir d’attirer à Christ plutôt que d’éloigner. L’application de ce principe ne se résume pas à ne pas manger aujourd’hui, dans nos épiceries, des viandes sacrifiées à des idoles, mais concerne plutôt toute chose que nous nous permettons publiquement de faire qui pourrait éloigner de Christ plutôt que d’en rapprocher. Un exemple classique, souvent donné, est celui de l’alcool. Si j’invitais un frère qui a une faiblesse avec l’alcool, serais-je prêt, par amour pour Christ et pour lui, à m’abstenir de mon droit de liberté ? Là est la question que pose ce texte. Afin d’être de plus en plus précis dans nos applications, il faut connaître davantage notre public. Il nous faut entretenir une image mentale de ceux à qui l’on prêche41.

On doit aussi s’assurer que l’orientation de notre application est bel et bien christocentrique. Qu’est-ce que cela veut dire ? Eh bien, est-ce que nous disons aux gens ce qu’ils doivent faire pour recevoir le Salut, ou est-ce que nous leur disons plutôt ce que la puissance du Salut peut et devrait normalement produire dans leur vie ? Est-ce qu’on leur dit quoi faire pour posséder la grâce de Dieu ou bien on leur dit comment ils peuvent répondre à la grâce qu’ils ont déjà abondamment reçue ? Si une application christocentrique ne fait pas les choses à l’envers ; c’est parce que Dieu nous a aimés le premier et qu’il touche d’abord notre cœur que nous voulons répondre par notre obéissance. L’application christocentrique vise le cœur, elle veut bien faire comprendre comment Jésus a réglé le problème dont il est question, et elle entend conduire le cœur à la repentance afin de répondre justement à l’œuvre de grâce de Dieu. On ne veut pas de la culpabilité comme motivation. On ne veut pas non plus créer des standards. Ce que le prédicateur désire, c’est de captiver la volonté du peuple en captivant leurs cœurs, car là se trouve le siège de la volonté42.

Voici ce que vise une application christocentrique :

  1. Elle veut mener le peuple à la repentance en lui faisant comprendre sa résistance naturelle à la Bonne Nouvelle de Jésus et en lui faisant prendre conscience de ses angles morts.
  2. Elle présente clairement au peuple comment, dans telle ou telle situation, il ne peut s’en sortir seul (mauvaise nouvelle) et comment Jésus a pourvu le moyen de s’en sortir (Bonne Nouvelle). L’application christocentrique insiste beaucoup plus sur ce que Jésus a fait que sur ce que l’homme doit maintenant faire.
  3. Elle est maintenant capable d’exposer ce à quoi le peuple peut aspirer à vivre et expérimenter en Jésus, par sa grâce. La motivation de lui plaire est présentée comme le fruit naturel d’une vie transformée par la Bonne Nouvelle de Jésus. La joie, la reconnaissance et l’amour qui découlent de la Bonne Nouvelle deviennent les seules véritables motivations du peuple43.
    Afin de boucler la boucle avec les éléments qui constituent un point en prédication, c’est-à-dire l’explication, l’illustration et l’application, voici un petit résumé conceptuel. Grâce à notre exégèse, l’explication est l’étape où on tente de faire comprendre à l’auditoire ce que voulait dire le texte pour ceux qui l’ont reçu en premier. En ce sens, l’explication se situe surtout dans le passé. L’illustration tente d’établir un pont, parfois ludique, mais surtout visuel et qui frappe l’imaginaire, entre le contexte ancien du texte et le contexte moderne de notre auditoire. En ce sens, l’illustration est perçue comme un pont parce qu’il est à cheval entre le sens ancien et les référents culturels modernes. L’application, quant à elle, tente d’expliquer comment vivre le texte aujourd’hui, dans le quotidien et la réalité concrète de l’auditoire. En ce sens, l’application se situe surtout dans le présent, voire dans le futur, car elle tente d’anticiper la réalité de la vie du lundi matin, moment où l’auditoire fera face à son quotidien44.

9) Les « phrases de transition » sont préparées à l’avance pour permettre une transition fluide entre les diverses sections du message. Ce sont ces détails qui différencient les bons des excellents messages.

10) La « conclusion ou appel » est l’étape qui permet à la fois de résumer l’essence du message et d’appeler (mettre au défi) le peuple de Dieu à répondre à la vérité du texte45. Les prophètes appelaient et mettaient au défi le peuple de Dieu tout comme les apôtres dans les Actes. La conclusion a deux objectifs : résumer et exhorter46. Une histoire émouvante, par exemple, en finale peut très bien servir à résumer un message tout comme terminer avec une bonne citation47. Un sommaire du message, une question lancée à l’auditoire, une directive spécifique qui défie l’auditoire ou une prière peuvent tous être d’excellents moyens de conclure une bonne prédication48.

Pour ce qui concerne le temps que devrait normalement durer une prédication, plusieurs variables sont à prendre en compte. D’abord il faut considérer la tradition ecclésiale de l’église dans laquelle nous apportons un message ainsi que la capacité d’écoute du public auquel nous nous adressons. Certains proposent une règle de sagesse, celle de ne pas prêcher plus que son âge. Un jeune homme de 30 ans ne devrait pas avoir autant de sagesse et d’expérience à partager qu’un homme mûr de 60 ans. L’humilité ne devrait pas nous amener à parler au-delà de notre propre expérience de vie. Toutefois, force est de constater qu’il n’y a pas de règle absolue concernant cette question. Une prédication ne devrait pas être courte au point de donner l’impression que la Bible est secondaire, ni trop longue au point de devenir un fardeau pour le peuple. Ces deux extrêmes volent la gloire du Christ49. La prédication doit être suffisante, mais devrait aussi donner la piqure de sorte à laisser quelque peu les gens sur leur faim afin de les pousser davantage vers la Parole. John Stott disait : “Tout sermon devrait paraître durer vingt minutes, même s’il est beaucoup plus long50”.

4. Favoriser l’Esprit et la prière

Quelle est la place de l’Esprit Saint et de la prière dans le processus de la prédication ?

La raison véritable pour laquelle la prière et l’Esprit n’ont pas été mentionnés auparavant dans cette série d’articles, c’est qu’ils sont implicitement tenus pour acquis dans le processus. Ce serait comme demander : « Est-ce qu’un prédicateur doit être croyant ? », la réponse est : « Oui, bien sûr ! C’est sous-entendu ». La prière et le soutien constant de l’Esprit ne sont jamais une option pour le prédicateur, mais plutôt un style de vie déjà bien établi depuis longtemps. Si la vie de prière est absente de celle du prédicateur, plusieurs questions fondamentales sont à se poser. Avant de chercher à parler de Dieu, il lui vaudrait mieux chercher à connaître, aimer et communier avec Dieu. Malheur à moi, toutes les fois où je n’ai prié que pour avoir une parole pour la prédication, au lieu d’investir dans une relation solide avec mon Seigneur. De la même manière que pour la prière, si la discipline spirituelle de la lecture quotidienne de la Parole est absente de la vie du prédicateur, certaines remises en question sont nécessaires. Comment parler des choses de Dieu si nous-mêmes ne possédons pas l’intérêt de lire les choses de Dieu ? Aussi, pourquoi chercher à parler de ce que l’on ne connaît pas ? Malheur à moi toutes les fois où je n’ai ouvert la Bible que pour trouver un message à prêcher aux autres, au lieu de chercher d’abord un message à me prêcher à moi-même.

Ces questions n’ont pas pour but d’écraser et de culpabiliser les prédicateurs qui se seraient égarés, mais au contraire, elles servent d’indicateurs qu’il y a quelque chose qui semble clocher dans leur vie personnelle. C’est parce que l’on sait comment se comporte une personne en santé que nous sommes capables de reconnaître les symptômes de la maladie. De la même manière, les symptômes ne sont pas la maladie, mais des indicateurs que quelque chose cloche plus profondément. Si la vie de prière est absente chez un prédicateur, n’est-ce pas un indicateur qu’il y a quelque chose de déficient au niveau de la conception relationnelle qu’il a de son Seigneur ? Et s’il y a un manque dans sa lecture de la Bible, n’est-ce pas un indicateur qui devrait le pousser à se questionner sur ses véritables motivations ? La prédication c’est la proclamation de ce que nous croyons, de ce qui nous motive et de ce qui nous passionne ! Si ce n’est pas le cas, alors pourquoi voulons-nous prêcher ? Pour la gloire que cela apporte ? Il est nécessaire de se questionner.

Improvisation vs Planification

Puisque cette série tient pour acquise la santé spirituelle du prédicateur, il ne sera pas question de la prière en tant que discipline spirituelle, incontournable dans la vie du croyant, mais bien de son apport particulièrement dans le processus de la prédication. Notre but est surtout de répondre à l’étrange opposition qu’il semble parfois y avoir dans certains milieux évangéliques francophones entre travail, méthodologie et liberté de l’Esprit. Un peu comme si la préparation rigoureuse enfermait, voire tuait l’œuvre de l’Esprit. En fait, le Saint-Esprit n’est pas plus dans l’improvisation qu’il l’est dans la planification. Tel que nous l’avons déjà vu tout au long de cette série d’articles, la Bible elle-même, ouvrage inspiré par l’Esprit Saint, encourage vivement rigueur, travail, vigilance et planification. Le véritable besoin du prédicateur n’est pas de viser davantage l’improvisation, mais d’inclure davantage l’Esprit dans sa planification. L’Esprit, étant au courant de ce qui s’en vient dans le futur, doit justement être inclus dans la planification présente.

C’est un mythe, bien ancré dans diverses communautés, que nous n’avons pas besoin de préparation pour prêcher, mais seulement d’ouvrir la bouche et laisser le Saint-Esprit agir. L’unique passage pour soutenir une telle conception est celui de 1 Jn 2.27, qui dit : « Quant à vous, l’onction que vous avez reçue de lui demeure en vous, et vous n’avez pas besoin que quelqu’un vous instruise ; mais comme son onction vous instruit sur tout, qu’elle est vraie et qu’elle n’est pas mensonge, demeurez en lui comme elle vous y a instruits. ». Ce texte est, malheureusement, souvent utilisé comme un prétexte afin de lui faire dire que nous n’avons besoin que de l’Esprit pour comprendre les textes bibliques. En réalité, le véritable contexte, encore une fois, exprime l’exact opposé de cette interprétation.

L’apôtre Jean tente d’aider l’Église à se défendre contre de faux enseignements. En effet, régulièrement des hérétiques venaient prendre la parole dans l’Église. Ce passage est donc une mise en garde de ne pas recevoir de « nouvelles révélations », mais de rester attachés au véritable enseignement apostolique qu’ils connaissaient déjà ! Autrement dit, le Saint-Esprit s’est déjà révélé dans la Parole et il ne va pas se contredire en y ajoutant de nouvelles révélations. À nous donc de bien comprendre et enseigner notre église à propos de la vraie révélation de l’Esprit ainsi qu’à y rester fidèlement attachés51.

Croyez-moi, il est possible de choisir un texte, 1) en fonction des besoins de sa congrégation, 2) de l’étudier académiquement, c’est-à-dire avec rigueur, 3) de réfléchir à comment l’interpréter de manière christocentrique et 4) de l’organiser à l’aide d’une structure homilétique qui se communique bien, tout ça en partenariat avec le Saint-Esprit.

La grâce de Dieu s’oppose aux mérites et non pas aux efforts. Plus encore, la paresse et l’ignorance sont largement dénoncées dans la Parole, même lorsque ces dernières concernent l’interprétation et la prédication. La préparation rigoureuse est donc non négociable. D’ailleurs, demandez à n’importe quel prédicateur d’expérience et il vous dira : « Meilleure est ta préparation avant la prédication et plus facilement tu arriveras à sortir de tes notes, si tu te sens conduit ». Même s’il peut y avoir une part d’improvisation, la préparation fait toujours la différence. Nous avons besoin en effet du Saint-Esprit, mais il ne court-circuite pas le travail. Le Saint-Esprit ne doit jamais devenir pour nous un raccourci à notre labeur. Imaginez un instant un champ. Dieu peut accorder sa faveur et bénir les récoltes, ce qui n’empêche en rien que le fermier aille tout d’abord, dans l’année, retourner, ensemencer et prendre soin de sa terre. En appliquant cela au monde de l’interprétation et de la prédication, on pourrait reprendre les paroles de Dominique Angers et dire comme lui :

« Quant aux chrétiens qui pensent que l’aide accordée par l’Esprit pour comprendre la Bible permet de faire l’économie d’une réflexion approfondie, soulignons que l’Écriture n’enseigne nulle part que l’Esprit révélerait spontanément la “bonne interprétation” d’un texte indépendamment de tout effort d’analyse de la part du lecteur. Au contraire, si Paul prie que l’Esprit “illumine” les chrétiens d’Asie Mineure dans leur compréhension de l’Évangile (Ep. 1.17-18), il oblige simultanément ses frères et sœurs à mettre en œuvre toutes leurs facultés intellectuelles en leur écrivant une lettre extrêmement dense sur le plan théologique ! »52

Lorsqu’on y pense, comment l’Esprit qui a inspiré les textes bibliques pourrait-il désapprouver le sérieux et l’effort de ceux qui veulent bien comprendre la révélation de Dieu et ceux aussi qui veulent être certains de ne pas injecter leurs propres impressions dans le texte, mais respecter à tout prix les pensées de Dieu seul ? L’Esprit a toute la place pour démontrer sa puissance lorsque justement l’interprète soucieux offre au texte de la Bible toute la révérence et la dignité qu’elle mérite53. En résumé, le Saint-Esprit est indispensable, mais jamais ne constitue un raccourci au travail diligent de l’homme.

Pourquoi faut-il dépendre de l’Esprit Saint ?

Il est indispensable de dépendre de l’aide du Saint-Esprit dans chacune des étapes de la conception d’une prédication. Du choix de la thématique ou du passage à étudier jusqu’à la préparation du message. Du début jusqu’à la fin, toujours et en continu, la prière et la dépendance sont nécessaires, et cela pour plusieurs raisons évidentes. 1) L’Esprit Saint connaît Jésus bien mieux que nous. Il sait mieux que nous comment proclamer sa Bonne Nouvelle et l’exalter convenablement. 2) Il connaît le texte biblique mieux que nous. Il est le révélateur de la Parole de Dieu, sans lui nous ne pouvons être nous-mêmes touchés par le texte et nous ne pourrons pas plus toucher les autres. 3) Il connaît nos capacités mieux que nous. Il sait ce dont nous sommes capables et comment se servir de nous afin de glorifier Dieu. 4) Il connaît ses capacités mieux que nous. Le Saint-Esprit sait ce qu’il a à offrir, sa tâche est que Dieu soit glorifié et Jésus exalté. Ultimement, c’est lui qui change les cœurs, il est le véritable prédicateur. 5) Il connaît notre congrégation mieux que nous. Il sait ce que les gens vivent, traversent et comment parler dans leurs vies. Nous avons donc besoin de sa sensibilité.

Quelles sont les fonctions de l’Esprit ?

Le Saint-Esprit remplit plusieurs fonctions dans le processus de la prédication, il est important de bien les comprendre. 1) Le Saint-Esprit glorifie Dieu en exaltant Jésus. Le Saint-Esprit est christocentrique et son but est que Jésus soit proclamé, que les gens soient convaincus de leurs péchés, conduits aux pieds de Jésus, qu’ils reçoivent sa grâce, qu’ils deviennent enfants de Dieu et qu’ils vivent pour sa gloire. Ce sont ses impératifs. À nous maintenant d’entrer dans la danse et de nous laisser conduire et ne pas forcer l’Esprit à entrer dans nos propres impératifs. 2) Le Saint-Esprit rappelle les paroles de Jésus. Il n’est pas dit que l’Esprit invente ou révèle de nouvelles paroles, ni même qu’il révèle de nouveaux sens à la Parole, mais bien qu’il rappelle et soutient la Parole de Jésus. Notre travail est donc, avec son aide, de comprendre le sens initial et véritable de la Parole et ensuite de la transmettre le plus clairement possible à nos contemporains. 3) Le Saint-Esprit conduit à la repentance qui amène à recevoir l’œuvre de grâce et de salut de Jésus. Ceux qui lui appartiennent reconnaissent la voix du berger et reviennent à lui. Notre travail est de prier, de travailler et de proclamer, mais c’est toujours le Saint-Esprit seul qui touche les cœurs, les transforme et en fait des enfants de Dieu renouvelés. Cela doit nous amener à mieux faire la tâche qui nous revient, mais aussi à relâcher la pression qui ne nous revient pas. Prions comme si tout dépendait de nous, mais prêchons comme si tout dépendait de lui. 4) Le Saint-Esprit fait de nous des témoins de Jésus. Le véritable signe de l’Esprit selon Jésus c’est d’être un témoin de Jésus. Nous devons principalement rechercher à ce que l’Esprit fasse de nous des témoins de la gloire de Dieu et qu’il fasse de notre auditoire des témoins de la gloire de Dieu.

Quoi et comment prier lors de la préparation d’un message ?

Alfred Kuen, dans son livre « Comment interpréter la Bible », nous rappelle l’importance de l’Esprit dans le travail d’un prédicateur, du texte à sa proclamation. Le prédicateur a besoin de l’assistance de l’Esprit, dès le début de son analyse lorsqu’il ouvre la Bible et commence à la lire et à vouloir la comprendre. Il a également besoin de l’assistance de l’Esprit durant tout le processus d’étude du texte. L’Esprit va l’aider à bien utiliser les outils historiques et linguistiques qu’il possède, mais ne supprimera pas son humanité ; au contraire, il l’emploiera à son œuvre. Finalement, le support de l’Esprit sera essentiel pour l’aboutissement du message ainsi que sa proclamation devant un auditoire54. Le prédicateur devrait : 1) prier continuellement dans le sens où il s’agit d’abord et avant tout d’un mode de vie. Lorsque vient le temps de préparer une série de prédications ou bien seulement de choisir un texte pour un seul message, il serait conseillé de
2) prier pour un choix judicieux. Ce qu’on attend de l’Esprit c’est une sensibilité aux besoins du peuple. Parfois, les thématiques sont préparées un an à l’avance, mais comme la Bible couvre une multitude de textes et qu’un texte peut être prêché sous diverses perspectives, ces décisions n’empêchent jamais le prédicateur de parler d’un sujet spécifique correspondant aux besoins présents du peuple le temps venu. Plus encore, si l’Esprit est dans la planification, vous pourriez vous étonner d’avoir préparé votre calendrier en début d’année et de voir correspondre des textes clés à des besoins actuels de votre assemblée. Nombreux sont les prédicateurs d’expérience qui vous confirmeront ce genre d’événements. Ensuite vient le temps de 3) prier pour le soutien et l’aide de Dieu durant toute l’étude. Nous devons demander à Dieu de nous donner les capacités nécessaires afin de comprendre le texte, d’avoir la sagesse d’utiliser les bons outils et de bien interpréter le texte. Il m’arrive souvent de me trouver bloqué à un stade ou à un autre de ma préparation et de m’arrêter afin de prier. Si vous tournez en rond, arrêtez ce que vous faites et remettez votre travail entre les mains de Dieu. Lorsque vient l’étape de l’homilétique, 4) prier afin d’actualiser de manière pertinente le texte pour vos contemporains. Il s’agit de demander une sensibilité particulière à l’Esprit, qui connaît mieux que nous notre propre congrégation. Il sait ce qu’ils vivent et ce qu’ils ont besoin d’entendre et de recevoir. Finalement, avant de monter en chaire, nous devons combattre pour notre communauté et 5) prier pour le message, chacun de ses points et son effet.

Conclusion

Nous approchons de la fin de notre voyage au pays de l’herméneutique. À ce stade, nous avons vu pourquoi le travail d’interprétation est essentiel, quels sont les présupposés qu’ils faut posséder pour bien interpréter la Bible, ceux qu’elle demande que l’on possède la concernant. On a aussi identifié, grâce à l’histoire de l’herméneutique, les présupposés dont il faut se méfier. Également, nous avons pu proposer une méthode d’étude et d’analyse qui rend justice tant à la complexité du matériau biblique qu’au phénomène de communication. Nous avons, par la suite, passé en revue chacun des outils que l’on peut retrouver dans le coffre à outil de l’herméneute aguerri. Finalement, dans les derniers numéros, nous avons rappelé les règles d’interprétation et discuté de la mise en prédication. Dans un ultime numéro 10, nous tenterons une synthèse récapitulative allant du choix d’un texte biblique à sa proclamation.

Notes


  1. Craig Keener, Interprétation biblique, p. 9. 
  2. Timothy Keller, La prédication, p. 44. 
  3. _Ibid. _ 
  4. Timothy Keller, La prédication, p. 42-43. 
  5. David Helm, La prédication textuelle : Comment bien communiquer la Parole de Dieu aujourd’hui, 9Marsk, p. 14. 
  6. David Helm, La prédication textuelle, p. 15. 
  7. Timothy Keller, La prédication, p. 42. 
  8. David Helm, La prédication textuelle, p. 11. 
  9. David Helm, La prédication textuelle, p. 11. 
  10. Hugues O. Old, The Reading and the Preaching of the Scriptures in the Worship of the Christian Church, Vol 1-7, Wm B. Eerdmans, 1998-2010. 
  11. Timothy Keller, La prédication, p. 45. 
  12. Timothy Keller, La prédication, p. 46-51. 
  13. David Helm, La prédication textuelle, p. 12. 
  14. David Helm, La prédication textuelle, p. 13. 
  15. David Helm, La prédication textuelle, p. 42. 
  16. David Helm, La prédication textuelle, p. 44. 
  17. David Helm, La prédication textuelle, p. 45. 
  18. Voir Robinson, Haddon W., La prédication biblique : Comment développer et apporter des messages sous forme d’exposés, Les Éditions Ministère Multilingue International, Longueuil, 2006, p. 87-90. 
  19. Voir James Braga, How to Prepare Bible Messages, Revised Edition, Portland, Multnomah, 1981. 
  20. James Braga, How to Prepare Bible Messages, p. 93-100. 
  21. Haddon W., La prédication biblique, p. 32. 
  22. Haddon W., La prédication biblique, p. 38. 
  23. Haddon W., La prédication biblique, p. 40. 
  24. James Braga, How to Prepare Bible Messages, p. 103-110. 
  25. Donald R. Sunukjian_, Invitation à la prédication biblique_, p. 199. 
  26. Donald R. Sunukjian, Invitation à la prédication biblique, p. 200-206. 
  27. James Braga, How to Prepare Bible Messages, p. 113-135. 
  28. Bryan Chapell, Prêcher : L’art et la manière, Excelsis, Charols, 2009, p. 153. 
  29. Bryan Chapell, Prêcher : L’art et la manière, Excelsis, Charols, 2009, p. 159. 
  30. James Braga, How to Prepare Bible Messages, p. 137-159. 
  31. Bryan Chapell, Prêcher : L’art et la manière, Excelsis, Charols, 2009, p. 39. 
  32. Bryan Chapell, Prêcher : L’art et la manière, Excelsis, Charols, 2009, p. 166. 
  33. Idem. 
  34. James Braga, How to Prepare Bible Messages, p. 161-188. 
  35. Haddon W., La prédication biblique, p. 84. 
  36. James Braga, How to Prepare Bible Messages, p. 191-203. 
  37. Donald R. Sunukjian, Invitation à la prédication biblique, p. 87. 
  38. James Braga, How to Prepare Bible Messages, p. 205-227. 
  39. Haddon W., La prédication biblique, p. 84. 
  40. Donald R. Sunukjian, Invitation à la prédication biblique, p. 51-55. 
  41. Donald R. Sunukjian, Invitation à la prédication biblique, p. 116-128. 
  42. David Helm, La prédication textuelle, p. 133. 
  43. David Helm, La prédication textuelle, p. 134-132. 
  44. Haddon W., La prédication biblique, p. 78. 
  45. James Braga, How to Prepare Bible Messages, p. 229-240. 
  46. Donald R. Sunukjian, Invitation à la prédication biblique, p. 251. 
  47. Donald R. Sunukjian, Invitation à la prédication biblique, p. 252-256. 
  48. Haddon W., La prédication biblique, p. 177-183. 
  49. Bryan Chapell, Prêcher : L’art et la manière, Excelsis, Charols, 2009, p. 58. 
  50. John R.W. Stott, Between Two World: The Art of Preaching in the Twentieth Century, Eerdmans, Grand Rapids, 1988, p. 294. 
  51. Jean-Sébastien Morin, Herméneutique I, p. 5. 
  52. Dominique Angers, « Interprétation de la Bible », p. 190. 
  53. Alfred Kuen, Comment interpréter la Bible, p. 30. 
  54. Alfred Kuen, Comment interpréter la Bible, p. 28. 
Plus de publications

Simon Jean-Claude Archambault est pasteur des ados depuis 10 ans au Canada et depuis 5 ans à l’Église le Portail dans la ville de Laval ainsi que responsable des formations bibliques. Détenteur d’un baccalauréat en Théologie Biblique de l’ITF et d’une maîtrise en exégèse de l’UdeM, il est aussi membre du Concile SOLA et professeur d’herméneutique à l’Institut de Théologie pour la Francophonie (ITF).

Published By: Simon Archambault

Simon Jean-Claude Archambault est pasteur des ados depuis 10 ans au Canada et depuis 5 ans à l’Église le Portail dans la ville de Laval ainsi que responsable des formations bibliques. Détenteur d’un baccalauréat en Théologie Biblique de l’ITF et d’une maîtrise en exégèse de l’UdeM, il est aussi membre du Concile SOLA et professeur d’herméneutique à l’Institut de Théologie pour la Francophonie (ITF).