L’Autorité des Écritures

L’Époque anti-autoritaire

Nous vivons dans une époque où il n’y a pas un grand respect pour l’autorité. Bien sûr, ceux qui ont l’autorité s’attendent à une compliance de la part de ceux qui se trouvent sous leur pouvoir. Mais pour la plupart des gens, incluant bien des chrétiens évangéliques, la liberté personnelle est une vertu qui est poursuivie avidement. Il est donc difficile, de nos jours, pour bien des personnes de se soumettre aux demandes de ceux qui se trouvent en autorité.

Si le fait de se soumettre à un individu est considéré comme étant une vertu marginale (ou même pas une vertu), l’idée d’une autorité religieuse à laquelle il faut obéir, est encore plus difficile à avaler pour bien de nos contemporains. C’est spécialement vrai quand l’autorité religieuse est le livre de cette religion. Si on croit, par exemple, que la Bible est simplement un livre humain écrit il y a longtemps, alors il est facile de l’ignorer comme étant un livre avec peu de relevance ou de valeur de nos jours. La Bible présente une philosophie de vie, et touche sur des questions que chaque personne doit considérer, mais comment peut-elle prescrire ce que nous devrions penser et faire quand elle a été écrite dans des temps et des circonstances si différentes des nôtres?

Les Écritures seul

Toutefois, ceux qui sont engagés envers  l’inspiration divine et l’inerrance des Écritures, comprennent que si la Bible est vraiment la Parole de Dieu, alors elle doit être le livre qui nous guide pour vivre en relation avec Dieu et avec les autres. À travers les siècles de l’histoire de l’Église, l’Église chrétienne a affirmé que les Écritures sont la parole de Dieu, ayant son autorité, même si l’attention et l’obéissance à son enseignement n’ont pas toujours accompagné leur affirmation de son autorité. En effet, le désaccord que les Réformateurs ont eu avec le Catholicisme Romain concernait, au moins en partie, la question  de qui, et quelle chose, devrait être l’autorité ultime pour les chrétiens dans les questions concernant Dieu et notre relation individuelle et collective (en tant qu’Église) avec lui. 

À un moment donné, en conversant sur la doctrine évangélique des Écritures, on entendra sûrement la phrase sola Scriptura! Ceci n’est pas un simple slogan, mais plutôt un résumé exact d’une des questions principales de la Réforme Protestante. Avant la Réforme, c’était une époque d’autorité. Il y avait les autorités politiques, et la plupart de la population était assujettie à leurs caprices. Il y avait aussi les autorités ecclésiastiques, spécialement l’Église Catholique Romaine, son clergé, et son hiérarchie, culminant dans le pape. On tenait aussi la tradition de l’église comme étant une autorité, et, bien sûr, on considérait que les Écritures avaient une certaine autorité dans les questions de foi et de pratique.

Malheureusement, trop souvent l’autorité cléricale et papale, plus la tradition, l’emportait sur l’autorité des Écritures. Quand Martin Luther s’est rendu compte que son interprétation de certains passages clés et doctrines des Écritures ne concordait pas avec les interprétations de l’Église, le trouble se préparait. Il est probable que d’autres prêtres Catholiques étaient en désaccord avec l’Église sur certaines questions doctrinales, mais la plupart des dissidents ont gardé le silence. Le tempérament de Luther était différent, mais sa révolte n’était pas simplement une question d’avoir une personnalité agressive. L’étude que Luther a fait des Écritures, lui a convaincu que l’Église avait tort dans quelques-unes des doctrines les plus importantes, telles que comment établir et maintenir une relation correcte avec Dieu. En plus, en élevant la tradition et le clergé, incluant le pape, au-dessus de l’autorité des Écritures, l’Église a pratiquement garanti qu’il n’y avait peu d’espoir de jamais corriger les erreurs doctrinales.

Luther s’est senti obligé de protester. Le fait d’afficher les Quatre-vingt-cinq Thèses, n’était pas étrange en soi; des érudits affichaient souvent des thèses pour être débattues par d’autres érudits, exactement comme l’avait fait Luther. Mais le contenu des Thèses de Luther, les débats qui en ont suivi, et ce qui était en jeu, n’étaient pas les questions usuelles d’une disputatio médiévale ordinaire. Éventuellement, Luther a été amené devant le Diète de Worms en avril, 1521, et on lui a commandé de se rétracter sur ses points de vue sur la justification et l’autorité ecclésiastique et biblique. Sa réponse n’a laissé aucun doute concernant ce qui était, pour lui, la source d’autorité :

Puisque, donc, votre Majesté et vos seigneuries désirent une réponse simple, je répondrai sans cornes et sans dents. À moins d’être convaincu par les Écritures et par un raisonnement clair – je n’accepte pas l’autorité des papes et des conciles, car ils se sont contredits entre eux- ma conscience est captive à la Parole de Dieu. Je ne peux pas et ne veux pas me rétracter en rien, car aller contre la conscience n’est ni correct ni sauf. Que Dieu me vienne en aide. Amen.1

Depuis la Réforme

Comme vous pouvez voir, pour les Réformateurs, sola Scriptura n’était pas seulement un slogan. Et cela a été vrai pour des chrétiens évangéliques depuis ce temps-là.

Si Dieu, qui est la plus haute autorité, a donné sa parole, alors cette parole doit avoir l’autorité sur nous.

Ce ne sont pas tous les Protestants, toutefois, qui ont pris cette position. À la lumière de la critique cinglante des Écriture via la critique historique, plusieurs ont rejeté l’inspiration et l’inerrance des Écritures, sans parler de son autorité. Durant le vingtième siècle, la néo-orthodoxie a surgi. Ayant digéré la manière dont la critique biblique a manié les Écritures, mais reconnaissant en même temps le manque de mérite du libéralisme, Karl Barth et ses disciples ont adopté un point de vue différent sur les Écritures. Dans son Church Dogmatics, Barth a écrit concernant l’autorité biblique :

Pourquoi, et en quoi, est-ce que le témoignage de la Bible possède de l’autorité? Exactement en ceci, qu’elle ne réclame aucune autorité pour elle-même, que son témoignage consiste à permettre que cette Autre Chose soit elle-même et à travers d’elle-même, l’autorité. De là, nous rendons à la Bible un honneur mal dirigé, et une qu’elle considère comme indésirable. Ceci peut avoir lieu … dans la forme d’une doctrine de l’inspiration générale et uniforme de la Bible.2

Pour Barth, l’autorité de la Bible est dérivée purement de sa fonction, et cette fonction est de nous pointer vers Dieu lui-même, cette « Autre Chose » par laquelle Barth voulait dire la révélation (Pour Barth, Dieu dans une rencontre personnelle avec nous par le moyen de Jésus-Christ, est la révélation), qui est la vraie autorité. En soi-même, les Écritures n’ont aucune autorité, et il est facile de voir pourquoi Barth avait ce point de vue. Si les Écritures ont de l’autorité en soi, il faut qu’il y ait une raison, et la raison que les Évangéliques ont toujours donnée, est que c’est la Parole de Dieu. Mais si la critique biblique et historique a raison concernant toutes les erreurs dans les Écritures, comment est-ce que les paroles des Écritures peuvent être une révélation divine? Dieu ne mentirait pas, ni est-ce qu’il se tromperait en quoi que ce soit. Donc, pour les néo-orthodoxe, les Écritures ne peuvent pas être la parole de Dieu et donc ne peuvent pas avoir de l’autorité en soi. Malgré tout, Barth n’a pas abandonné les Écritures complètement, car il croyait que c’était un témoignage ou indicateur habile, en dépit de ses erreurs et humanité.

Une époque d’individualisme effrénée 

Á mesure que le vingtième siècle avançait, au moins les cultures occidentales ont absorbé de plus en plus l’esprit du postmodernisme. Les postmodernes rejetaient typiquement toute sorte de fondationnalisme, c’est-à-dire le point de vue selon lequel une certaine collection d’idées, certaine(s) personne(s), certaine(s) organisation(s) sont le point de référence ultime contre lequel la vérité, le pouvoir, et l’autorité de toute autre chose doit être jugé. Comme résultat, nous vivons dans une époque qui est de plus en plus caractérisée par le rejet de toute autorité. Donc, pour plusieurs, il est impensable qu’une croyance religieuse ou un livre quelconque soit l’arbitre ultime dans des disputes concernant n’importe quoi. Le sentiment de nos jours en est un d’individualisme effréné, mettant l’emphase sur ce qui est vrai « pour moi, » et cela signifie généralement toute approche à la vie qui augmente mon plaisir et réduit ma douleur, ma souffrance, et ce qui ne me convient pas. 

Malgré cela, les chrétiens évangéliques tiennent toujours à l’autorité divine, et ne peuvent pas renverser la conclusion sensée que si Dieu, l’autorité plus élevée, nous a donné sa Parole, cette Parole doit avoir de l’autorité sur nous.

Notes:

  1. Roland H. Bainton, Here I Stand: A Life of Martin Luther (New York: Mentor, 1955), 144, Richard L. Mayhue, “The Authority of Scripture,” MSJ 15 (Fall 2004): 227.
  2. Karl Barth, Die kirchliche Dogmatik (München, 1932), 115, quoted in John Baillie, The Idea of Revelation in Recent Thought (New York: Columbia University Press, 1964), 34–35.

Cet article a été initialement publié sur Crossway. La traduction est publiée ici avec permission.

John S. Feinberg
Plus de publications

John S. Feinberg (PhD, University of Chicago) est président de département et professeur de théologie biblique et systématique à Trinity Evangelical Divinity School. Il est l’auteur de Ethics for a Brave New World (avec Paul D. Feinberg) il est le rédacteur général de la séries Crossway’s Foundations of Evangelical Theology.

Published By: John S. Feinberg

John S. Feinberg (PhD, University of Chicago) est président de département et professeur de théologie biblique et systématique à Trinity Evangelical Divinity School. Il est l’auteur de Ethics for a Brave New World (avec Paul D. Feinberg) il est le rédacteur général de la séries Crossway’s Foundations of Evangelical Theology.