Note de l'éditeur: SOLA a demandé la permission à Glenn Smith de publier une version de son article « What’s next for the church in Quebec? » qui a paru sur Faith Today. Après 37 ans de service, Glenn Smith, le missiologue urbain, a récemment quitté le ministère québécois Direction Chrétienne. L’Alliance évangélique du Canada a demandé à cet avide « étudiant de la société québécoise » (comme il se décrit lui-même) de réfléchir à la question suivante : « Quel est l’avenir de l’Église au Québec ? »
L’année 2020 a fourni une série d’événements commémoratifs qui rappellent des points tournant de l’histoire récente du Québec.
En juin : Les Québécois ont eu l’occasion de réfléchir sur une époque, il y a 60 ans, où la province a subi un revirement spectaculaire lors de l’élection de Jean Lesage comme Premier ministre après des années de duplessisme. Le journaliste montréalais, Leslie Roberts a tellement bien décrit cette époque dans son livre, The Chief. La Révolution tranquille, pour employer le célèbre néologisme d’un journaliste du Globe and Mail, était lancée le 21 juin 1960. Depuis lors, le Québec n’a plus jamais été le même.
De juillet à septembre : Le Québec est une société fière de sa non-violence, comme en témoigne sa résistance à la conscription en 1917 et 1944. Mais c’est aussi ce qui rend le souvenir de la Crise d’Oka de l’été 1990 si pénible – 30 années plus tard, les Québécois sont venus réexaminer sérieusement leurs relations avec les dix-neuf Premières Nations sur le territoire desquelles ils habitent.
Au début d’octobre : Les Québécois ont marqué un 50e anniversaire en se souvenant de l’enlèvement de deux personnalités politiques lors de la Crise d’octobre en 1970. Étant étudiant universitaire au Michigan à l’époque, je passais mes après-midi à la bibliothèque à lire les journaux et à m’engager avec mes camarades étudiants québécois dans des débats animés sur tout ce que cela pouvait bien signifier. Il est devenu clair que la violence était excessive et rejetée par la population. Le FLQ a totalement échoué.
Le 31 octobre : Il y a à peine 25 ans, en 1995, tous les Canadiens ont vu le Québec passer à 54 000 voix de la séparation du Canada. Contrairement à ce qui arrive normalement dans le monde lors d’une crise de cette nature, nous nous sommes tous réveillés le lendemain matin et sommes allés travailler.
Aujourd’hui le séparatisme est moribond, à peine vivant, mais la fierté de la langue française et l’amour de la nation sont florissants.
Toutes ces réflexions de 2020 des Québécois ont été encadrées par un événement survenu plus tôt dans l’année.
Le 13 mars 2020 : Le Québec était l’une des premières entités politiques à imposer un confinement strict à cause de la COVID-19. Au Canada, 38 pour cent des cas étaient du Québec, une province qui représente seulement 23 pour cent de la population totale. De plus, le Québec a enregistré 58 pour cent des morts.
Ce qui est arrivé à l’époque a mis à nu toutes les lignes de faille de notre société.
- L’hyper individualité qui a conduit certains à dire : « Aucun gouvernement va venir me dire quoi faire. »
- L’abandon de nos citoyens âgés sous un gouvernement qui encourage le recours progressif au suicide médicalement assisté.
- La négligence des gouvernements successifs à entretenir correctement les systèmes de ventilation de nos édifices publics, y compris les écoles.
Ces lignes de faille ont toutes été exacerbées par ce prédateur imprévisible de la valeur de la vie humaine.
Regard vers l’avenir
Je suis missiologue, pas prophète. Après cette rétrospective de 60 ans, permettez-moi de me tourner timidement vers l’avant et de me risquer à nommer cinq avenirs à surveiller de près pour l’Église au Québec.
L’hyper individualité. Mon concitoyen montréalais, le philosophe Charles Taylor, nous aide tous à affronter la sécularité croissante de notre société et à relever le défi de trouver des accommodations raisonnables entre les pluralités galopantes autour de nous. Mais cette sécularité est liée à ce que Taylor appelle l’individualisme expressif, l’individualisme auto-suffisant, l’humanisme exclusif et le cadre immanent.
Nous serions sages de conclure que les débats interminables sur les périls de la sécularisation et de la postchrétienté sont actuellement des culs-de-sac missiologiques. (La plupart des bons sociologues et missiologues conviennent maintenant que ces notions ne nous donnent qu’un faible cadre conceptuel pour comprendre la foi dans le monde moderne.)
Un nombre croissant de journalistes québécois établissent une corrélation directe entre l’hyper individualité de notre société (enraciné dans la résistance farouche aux structures et aux institutions autoritaires de toutes sortes) et la propagation du coronavirus. Nous allons vouloir observer comment l’Église au Québec affronte cette hyper individualité dans nos congrégations.
Spiritualités chrétiennes et humanisme. La montée et l’épanouissement des « non-religieux » (ceux qui ne se réclament d’aucune affiliation religieuse) associés à la quête des spiritualités prenant racine dans le cadre immanent seront des phénomènes à suivre de très près.
Plus de 76 pour cent des Québécois continuent de s’identifier comme catholiques romains. Dans la mesure où les gens ne s’identifient plus au catholicisme, la tendance est de dire qu’ils n’ont pas de religion.
Comparons l’absence de religion et la spiritualité chrétienne : au processus qui consiste à développer et à vivre une relation profonde avec le Dieu trinitaire, à se conformer à l’image de Jésus-Christ pour le bien des autres, à vivre une foi qui fait une différence dans le monde. La spiritualité chrétienne ne peut pas être dissociée de la lutte pour la justice, ni de la prise en charge des pauvres et des opprimés.
L’intérêt des chrétiens envers la spiritualité n’est pas quelque chose de nouveau, mais on a constaté une prise de conscience renouvelée au cours des dernières années. Nous allons vouloir observer comment l’Église au Québec cultivera sa spiritualité dans le contexte de cette montée et de cet épanouissement des non-religieux et de la quête de ces spiritualités immanentes.
Des traditions chrétiennes en mutation. L’Église protestante est parvenue à l’âge adulte pendant ces six décennies tumultueuses. En 1960, il y avait 57 congrégations francophones – aujourd’hui il y en a 1100. Plus de Québécois francophones s’identifient à une foi et une pratique évangéliques que jamais. Il y a environ 105 000 francophones qui font cette affirmation. Le témoignage chrétien et l’implantation d’églises chrétiennes au cours de cette période ont porté fruit.
Les catholiques romains ne prévoient pas un avenir aussi heureux. Vers la fin des années 1950 et le début des années 1960, il y avait chaque année 200 candidats à la prêtrise dans une cohorte. Aujourd’hui, il y en a 15 dans tout le Québec. En novembre 1961, une enquête provinciale a démontré que 61 pour cent de la population avait assisté à la messe pendant ce mois-là. Aujourd’hui l’assistance mensuelle est de 14 pour cent et de seulement 4 pour cent dans le Grand Montréal.
Nous allons vouloir surveiller comment l’Église catholique romaine au Québec se portera dans les prochaines décennies.
La restructuration institutionnelle. La pandémie est en quelque sorte le marqueur du début d’une nouvelle période pour l’Église au Québec, comme elle le sera partout en Amérique du Nord. En raison du déclin de la foi institutionnelle et de la montée de la sécularité et de l’hyper individualité, les structures de croyances sont plus fragiles que jamais.
La congrégation locale, quelle que soit sa structure publique – églises traditionnelles, microéglises, églises maison, groupes universitaires, études bibliques sur la place du marché – est une entité qui interprète le Dieu trinitaire à son entourage.
Nous allons vouloir regarder comment l’Église au Québec fera la transition lorsque les mesures strictes sous lesquelles nous avons tous vécu depuis mars 2020 seront levées. De profonds bouleversements sociaux sont à l’horizon et il sera intéressant de regarder la posture de l’Église et sa participation dans la vie publique en allant de l’avant.
Des communautés de foi d’un nouveau genre. Il est intéressant de regarder la réémergence d’une variété de nouvelles expressions des structures de la congrégation, particulièrement des communautés missionnaires. Au-delà des structures normales de petits groupes qui sont apparues dans l’ecclésiologie canadienne depuis les années 1960, ces communautés de six à douze personnes, souvent connectées avec une congrégation plus grande, prennent très au sérieux l’étude des Écritures, la communion avec le Saint-Esprit et la mission locale.
Ce sont des groupes qui aiment Dieu, les uns les autres et leur ville et quartier en paroles et en actes. Dans tout le Québec, ces groupes missionnaires apparaissent, multipliant et changeant le visage de l’Église.
Ce sont les petits-enfants spirituels de Saint Patrick (Irlande), de Martin Bucer (Strasbourg, France), de John et Mary Wesley (Angleterre), de Gordon et Mary Cosby (Church of the Savior, Washington, D.C. dans les années 1960) et des communautés de base en Amérique latine.
Pendant que nous regardons ces cinq avenirs, nous devrons nous souvenir que l’indicateur social le plus clair de l’avenir est le comportement passé. Il ne fait aucun doute que des temps tumultueux nous attendent. Le Québec a une grande expérience de cette réalité.
Continuons à regarder, à dialoguer et à répondre pour voir avancer le règne de Dieu dans notre société.
La traduction française de cet article a été initialement publiée sur Faith Today. Elle est republié ici avec permission.
Glenn Smith
Glenn Smith, de Laval, est coprésident du Dialogue évangélique-catholique romain du Canada, parrainé par la Conférence des évêques catholiques du Canada et l'Alliance évangélique du Canada. Il est aussi le doyen académique à l'Institut de théologie pour la francophonie et le Directeur des études supérieures en théologie pratique au Collège Presbytérien. Avec son épouse, il est le pasteur des petits groupes à son église, La Chapelle.