Introduction
Comment passer de l’exégèse à l’herméneutique ? Autrement dit, comment passer de l’étude attentive et minutieuse du texte biblique, étape durant laquelle nous récoltons un maximum de données sur le texte, à l’étape d’attacher les ficelles ensemble et d’interpréter ces données ? En regardant à l’histoire de l’Église, on peut constater qu’on a déjà répondu à la question. Tel que discuté dans les premiers articles, l’interprète évangélique possède des présupposés concernant la Bible et ceux-ci découlent naturellement des règles d’interprétation qui viennent orienter la sienne.
L’importance d’interpréter et d’appliquer convenablement le texte biblique
L’exégèse respecte la Parole de Dieu lorsqu’elle cherche à comprendre ce que le texte veut réellement dire pour l’auteur premier, pour les lecteurs premiers et pour le texte lui-même. Une fois que cela est acquis, on peut véritablement chercher ce que le texte veut dire pour nous aujourd’hui. Cette étape d’interprétation, que l’on appelle herméneutique, n’est pas aisée, mais importante pour le prédicateur. En effet, tout bon prédicateur qui se respecte est beaucoup plus préoccupé à voir le peuple obéir à la Bible qu’à seulement la comprendre. C’est pourquoi il cherche ultimement comment chaque texte biblique peut parler à nos vies modernes et comment nous pouvons appliquer et vivre ce message. Toutefois, lorsque nous tirons des applications de la Bible, il faut considérer certaines règles que l’histoire de l’Église nous a apprises. La raison en est simple : interpréter, c’est en quelque sorte, dire aux gens à quoi la Bible les appelle à faire et à être et comment ils devraient y répondre. La prédication n’est donc pas la place pour les opinions personnelles. Comme l’a dit Gregg Matte dans son livre Unstoppable Gospel : « le prédicateur doit utiliser les mots avec autant de rigueur qu’un banquier qui compte l’argent et de finesse avec laquelle un médecin manie le scalpel1 ». Je dirais même, avec plus encore de rigueur et de finesse, car il s’agit bien souvent de la vie des gens que nous avons dans une main, et la Parole d’un Dieu vivant dans l’autre. Le stress que nous devrions éprouver lorsque nous nous tenons sur la chaire devrait ressembler à celui d’un contrôleur d’une tour aérienne qui sait que d’une erreur de calcul peut se jouer la vie de centaines de passagers.
Le pont de l’interprétation
L’herméneutique est une étape où l’interprète tente de construire un pont. D’un côté, il a, grâce à l’exégèse, compris ce que le texte voulait dire dans son contexte premier et de l’autre, il doit apprendre à connaître le contexte de sa congrégation. L’interprète qui désire parler à sa génération doit connaître aussi bien sa culture que son langage et ses images. C’est un pont entre le texte ancien et le lecteur moderne que doit construire l’herméneute. L’exégèse a permis de comprendre quelles étaient les situations précises dans lesquelles Dieu s’est révélé ainsi que pourquoi et comment sa révélation fut appliquée. Pour interpréter la Bible, il ne suffit pas de copier-coller ce que l’on voit, mais plutôt de comprendre pourquoi tel principe fut appliqué, selon le contexte, de telle manière. Ensuite, on réfléchit à trouver quels sont les contextes modernes, parfois bien différents, mais analogues à ceux du peuple et comment on devrait, dans ces contextes quelque peu différents, appliquer le même principe biblique. Il faut donc apprendre à distinguer le principe biblique général de l’application spécifique et contextuelle de ce principe. Afin de servir de balises, quelques règles d’interprétation peuvent aider l’interprète à ne pas trop s’éloigner d’une dispensation juste et droite des Écritures.
Les règles de l’herméneutique chrétienne
Les règles de l’herméneutique sont en quelque sorte la paire de lunettes à travers laquelle nous devons lire et interpréter le texte biblique. On pourrait aussi le dire autrement : si votre travail exégétique aboutit à une interprétation ou une application quelconque, celle-ci doit passer le test de ces sept règles. Si ce n’est pas le cas, vous devez réviser votre interprétation afin qu’elle soit conforme à l’orthodoxie chrétienne. En tout temps, l’interprète doit considérer sept règles d’herméneutique :
- toujours interpréter un texte à la lumière de la personne et de l’œuvre de Jésus-Christ;
- toujours interpréter un texte en considérant la révélation comme progressive;
- toujours interpréter un texte local à la lumière du texte global;
- toujours interpréter les textes obscurs à la lumière des textes clairs;
- toujours distinguer dans un texte ce qui relève du descriptif et du prescriptif;
- toujours distinguer dans un texte ce qui relève du contingent et du permanent;
- toujours accorder plus de valeur à ce à quoi la Bible attribue plus de valeur et en attribuer moins à ce à quoi elle en attribue moins.
Toujours interpréter un texte à la lumière de la personne et de l’œuvre de Jésus-Christ
L’acte rédempteur de Jésus à la croix est l’événement vers lequel toute la Bible pointe. Jésus a démontré comment l’ensemble de l’A.T. anticipait ce moment et le N.T. en rend témoignage. Le christianisme, c’est essentiellement le salut par grâce offert en Jésus-Christ, mort et ressuscité, au moyen de la foi seule. Dans le N.T., la prédication et la proclamation sont toujours corrélées à la Bonne Nouvelle de la grâce, et cette dernière est elle-même toujours corrélée à la personne de Jésus‑Christ. Utiliser la Bible pour enseigner aux gens une doctrine ou une thématique séculière, où l’œuvre de Jésus ne change rien au contenu de l’enseignement, revient totalement à passer à côté du message central de la Bible. Ce serait comme utiliser une fable de La Fontaine pour enseigner à des enfants le comportement animalier. Ce n’est pas parce qu’on parle d’animaux que le but de l’œuvre est de nous en informer.
Si votre prédication ou enseignement est parfaitement recevable par un juif, un musulman ou un athée, vous ne prêchez pas le plein accomplissement des Écritures, qui servent à révéler Jésus. Beaucoup de prédicateurs, hélas, font de la Bible une littérature thérapeutique ou bien du « coaching » spirituel. Il n’y a absolument rien de mal à vouloir être psychothérapeute ou coach de vie, mais le travail du pasteur et du prédicateur n’a absolument rien à voir avec cela, et la Bible ne vise aucun de ces impératifs. La prédication, c’est la proclamation de la Bonne Nouvelle de la grâce de Dieu qui trouve son plein accomplissement en Jésus. Le travail du pasteur est de proclamer ce message, puis aussi d’accompagner et guider le peuple à vivre et appliquer ce message dans tous les domaines de leur vie.
Par conséquent, tout texte, tout enseignement ou toute doctrine doit non seulement être interprété à la lumière de l’œuvre de Jésus, mais aussi y trouver son fondement et ce qui en fait sa spécificité. C’est justement la grâce en Jésus qui fait du christianisme une religion totalement différente de toutes les autres. C’est ce qui nous distingue et c’est précisément cette règle d’herméneutique qui fait de nous, traditionnellement, de véritables chrétiens orthodoxes (non pas dans le sens d’orthodoxe grec, mais dans celui de droiture doctrinale). Paul n’a-t-il pas pressé Timothée de bien préserver son dépôt (2 Tim 1.14), dépôt qui est précisément la Bonne Nouvelle de Jésus ? Plus encore, Paul presse Timothée de dispenser droitement la Parole de Dieu (2 Tim 2.15). Prédication, proclamation et Bonne Nouvelle de la grâce de Jésus sont intimement corrélées.
Prêcher la centralité de l’Évangile est toujours un défi contre-intuitif, car l’homme est religieux et moraliste par défaut. Mais le défi est encore plus grand lorsque vient le temps d’interpréter l’A.T. Il est toujours possible de trouver Jésus dans la Parole, puisque cette dernière sert à rendre témoignage de lui. C’est justement pour cette raison que C. H. Spurgeon disait : « Je n’ai jamais encore trouvé de texte dans la Bible qui n’avait pas une route menant à Christ, et s’il arrivait que j’en trouve un sans route menant à Christ, j’en ferais une; je traverserais haie et fossé, mais j’arriverais à mon Maître, car un sermon ne peut faire aucun bien sans l’odeur de Christ en lui. » Parfois, il y a une autoroute claire qui mène à Jésus, parfois des chemins moins clairs, mais la Bible finit toujours par aboutir à lui.
L’idée générale est donc d’arriver à trouver l’Évangile dans chaque passage de la Bible. On peut facilement retrouver tous les axes qui résument l’Évangile dans n’importe quel texte de la Bible. Il suffit de poser quatre simples questions :
- Quel est le besoin de l’être humain dans le texte ?
- Comment Dieu manifeste-t-il sa grâce dans le texte ?
- S’il s’agit d’un texte de l’A.T., on doit se demander : comment Jésus est-il représenté ou anticipé dans le texte ?
- Finalement, on doit chercher à voir dans le texte, comment l’homme répond-il à la grâce de Dieu ?
N’oubliez pas, l’application est la réponse naturelle de l’homme qui comprend et reçoit la Bonne Nouvelle de la grâce et cette dernière constitue sa motivation ultime.
La typologie
L’une des méthodes traditionnelles de l’histoire de l’Église et des réformateurs pour trouver l’Évangile dans l’A.T. était la typologie. Il est parfois difficile de faire la différence entre symbole, image, comparaison, typologie et allégorie. Déjà le symbole, l’image et la comparaison permettent d’établir des parallèles entre deux éléments; normalement, c’est l’auteur lui-même qui signale la présence de ce procédé, la question ne se pose presque pas, car c’est dans l’intention de l’auteur de souligner des parallèles entre deux éléments distincts. Dans le cas de l’allégorie et de la typologie, c’est surtout le lecteur qui détermine à quelle réalité renvoie tel ou tel élément du texte. La question est parfois plus épineuse lorsqu’on tente de comparer la typologie à l’allégorie. Qu’est-ce qui les distingue ? Autrement dit, pourquoi la typologie serait-elle plus légitime que l’allégorie ? L’allégorie n’est pas légitime parce qu’elle est totalement arbitraire; interpréter de manière typologique ne l’est pas. Jésus, les apôtres et les auteurs de la Bible nous montrent que la typologie est légitime2. L’Esprit, donc l’auteur ultime des Écritures, a voulu qu’elles témoignent de Jésus. La typologie est alors un parallèle qui trouve son sens à la fin du grand récit biblique.
Mais plus encore, la typologie ne part pas dans tous les sens comme le fait l’allégorie, puisqu’elle reste fermement attachée à la trame narrative globale de la Bible. Autrement dit, l’allégorie est le lecteur qui recherche des sens cachés qu’il applique arbitrairement aux éléments du texte. La typologie, quant à elle, est limitée par un seul critère : l’histoire du salut qui aboutit en la personne et l’œuvre du Christ3. C’est donc le fil conducteur de la Bible (Création-Chute-Croix-Cieux), qui confère à la Bible et à la typologie leur grande cohérence et leur légitimité. Pensez-y : si la Bible raconte dans sa globalité la grande entreprise de sauvetage de l’humanité initiée par Dieu, il est normal que chaque micro-événement participe à la compréhension globale de cette œuvre. Conséquemment, chaque micro-événement de la Bible renvoie à Jésus, explique Jésus et s’explique par Jésus. Il est tout aussi normal que chaque petit sauvetage opéré par Dieu à travers l’histoire d’Israël préserve en lui l’essence et l’annonce d’un plus grand sauvetage final et décisif. Au contraire de l’allégorie, la typologie centrée sur Christ n’est pas arbitraire et est totalement vitale pour une interprétation biblique orthodoxe4.
Les accomplissements messianiques
Toute personne qui a déjà lu la Bible d’un couvercle à l’autre a remarqué combien de promesses et de prophéties concernant la venue, la vie, le message et l’œuvre du messie étaient compilées dans l’A.T. Il n’y a qu’à lire l’Évangile de Matthieu pour constater le grand nombre de références à une prophétie de l’A.T. Prenez l’exemple de la fuite de Jésus en Égypte (Matt 2.14,15; 13.35). Ce dernier accomplit durant sa vie ce qui avait été annoncé il y a très longtemps.
L’intertextualité
L’accomplissement messianique concerne surtout les « prédictions » qui sont faites dans l’A.T. concernant la venue du messie. Lorsqu’elles sont évoquées dans le N.T., elles sont généralement citées explicitement. L’intertextualité concerne plutôt toute autre citation directe ou allusion indirecte à des textes de l’A.T. qui ne seraient pas des prédictions, mais qui serviraient plutôt à mettre l’histoire d’Israël en parallèle avec celle de Jésus, afin de montrer comment il accomplit parfaitement ce qu’Israël a débuté imparfaitement. Par exemple, il n’est pas anodin que Jésus passe 40 jours dans le désert afin de résister à Satan, qui promet de revenir à un moment opportun, et que Jésus combat à nouveau, à la fin de son ministère, dans un jardin. Jésus a résisté et a gagné sur Satan et le péché dans les deux endroits où l’homme est symboliquement tombé. Jésus a vaincu dans le désert, là où Israël a démontré son incapacité à marcher dans l’alliance, et Jésus a finalement vaincu dans le Jardin, juste avant la croix, là où tout a commencé. Jésus est un deuxième Adam et un bien meilleur Israël. Nous y reviendrons.
La trajectoire historico-rédemptrice
L’ensemble de la Bible est une grande histoire de la rédemption qui remonte progressivement vers la croix. Savoir situer les éléments cruciaux de l’histoire du salut (Création, Chute, Croix, Cieux), permet de mettre tous les récits de la Bible en perspective. C’est exactement comme écouter un film policier pour la deuxième fois. On connaît déjà le coupable révélé à la toute fin du film, on ne l’écoute donc pas pour la surprise finale, mais afin de voir tous les détails tout au long du récit qui nous avaient échappé lors du premier visionnage.
Les grandes thématiques bibliques
Certaines thématiques sont chères pour la Bible et parcourent l’ensemble de son œuvre. Elles renvoient et illustrent bien souvent des réalités liées à la personne et l’œuvre du Christ. Par exemple, la thématique du « Royaume » renvoie à celui que Jésus vient inaugurer. On a qu’à penser à celle de « l’alliance » qui prépare celle que Jésus offre dans le N.T. D’autres thématiques, tels « l’Exil », « le Sabbat », « la terre promise » et « le combat spirituel », préparent tout autant la venue de Jésus. Il est utile pour l’étudiant de la Bible de se familiariser avec les grands thèmes bibliques à l’aide d’ouvrages tels que ceux de Bruce Walke, Théologie de l’Ancien Testament, Excelsis, 2012; George E. Ladd, Théologie du Nouveau Testament, Excelsis, 2010; Craig L. Blomberg, Théologie du Nouveau Testament, Excelsis, 2021.
La comparaison ou le contraste
La comparaison ou le contraste agit un peu comme une anti-typologie. Par exemple, un personnage de l’A.T. présente un trait ou une fonction similaire à celle du Christ, dans le but que l’on puisse établir un rapprochement. Cependant, la personne de l’A.T. sert à démontrer une faille que Christ doit surmonter. Par exemple, lorsque les mages d’Orient viennent apporter des présents à Jésus, tout comme la reine de Seba à l’égard de Salomon (1 Rois 10.1-13), le lecteur juif idéal de l’époque du second temple comprend que Jésus est présenté comme le fils de David, autrement dit, un nouveau Salomon. Cependant, malgré sa grande sagesse, Salomon est mort loin de Dieu, dans l’idolâtrie. Nous avons donc besoin de plus qu’un nouveau Salomon; heureusement, Jésus est un bien meilleur Salomon. Jésus est la Sagesse de Dieu faite chair qui vient mourir pour nous sauver de notre idolâtrie.
La manière intuitive
Il ne faut pas oublier que l’herméneutique est aussi un art, il y a donc une part de créativité, d’inspiration et d’intuition. Tous les textes de la Bible ainsi que toutes les prédications du monde ne peuvent pas entrer dans un seul moule. Un bon prédicateur d’expérience développera au fil du temps les habiletés à trouver rapidement et de manière intuitive les chemins qui mènent à Christ dans chaque texte de la Bible5. Parfois, un texte a un chemin (comme un thème, par exemple) très clair avec lequel il est aisé de le relier à Christ. Dans d’autres cas, le texte sera plus complexe et plusieurs avenues seront possibles à la fois6. Afin d’illustrer le dernier point, prenons l’exemple de Jephté. Si on utilise la trajectoire de la grande histoire du salut, Jephté est présenté comme un mauvais leader, donc la mauvaise nouvelle, qui nous permet d’anticiper la grâce de Dieu exprimée par le don d’une monarchie en David, lui-même anticipe le roi des rois : Jésus. Lorsqu’on utilise la comparaison et le contraste, on saisit que Jephté est un mauvais leader, car il échoue à guider Israël vers le vrai salut, d’où le besoin d’un bon roi comme David. Jésus est le seul et véritable leader qui sait guider son peuple vers le salut. Autrement dit, tu veux être conduit au salut ? Suis Jésus. Tu veux devenir un bon leader ? Pointe vers Jésus. Un bon prédicateur n’est pas celui qui a les solutions à tous les problèmes, mais celui qui pointe vers celui qui a toutes les solutions à tous les problèmes. Jephté agit donc à titre de figure qui contraste avec l’œuvre du Christ. Finalement, si on utilise la typologie, Jephté renvoie à notre situation de terrible pécheur qui a besoin d’un horrible sacrifice pour couvrir sa faute, et la fille de Jephté renvoie au Christ, le Fils de Dieu, qui a pris courageusement notre place et s’est offert comme un don immérité, afin de couvrir nos fautes.
Toujours interpréter un texte en considérant la révélation comme progressive
Nous avons déjà adressé cette réalité dans l’article concernant la critique des formes. Dieu a décidé de se révéler progressivement à travers l’histoire d’Israël. Les premiers auteurs de la Bible ne possédaient pas la même information que les derniers. Avant de sauter trop vite à des conclusions, il faut toujours savoir replacer notre texte dans son temps et son histoire. Par exemple, il est normal que les amis de Job l’accusent de péché, car ils pensent en termes de rétribution immédiate : si tu fais le bien, tu récoltes le bien, mais si tu fais le mal, tu récoltes le mal. La révélation d’une vie après la mort, donc, d’une rétribution juste dans l’au-delà commence justement à être révélée avec le récit de Job. Si on ne replace pas les textes bibliques dans le cadre d’une révélation progressive, on peut se trouver scandalisé par l’agissement de certains personnages de l’A.T. La révélation à laquelle avaient accès les personnages du N.T. n’était pas la même que celle accordée aux gens de l’A.T. Il ne faut pas oublier que toutes les idées introduites dans l’A.T. trouvent leur accomplissement final en Jésus dans le N.T. Donc, on doit aussi positionner chaque texte par rapport à la grande histoire du salut. Si on prêche sur l’A.T., il faut se demander comment chaque concept, idée, thématique ou image trouve son plein accomplissement dans le N.T. et inversement, lorsque c’est un passage du N.T. qui est étudié, on se demande quel est le concept vétérotestamentaire qui y est pleinement accompli. L’étude de l’intertextualité est capitale pour arriver à une interprétation satisfaisante des Écritures. À cet égard, l’étudiant soucieux de la Bible pourra profiter d’un excellent manuel de G. K. Beale intitulé Manuel de lecture de l’Ancien Testament par le Nouveau Testament et s’il maîtrise l’anglais, il pourra même se tourner vers cet ouvrage de référence qui a déjà fait ce travail, G. K. Beal et Don Carson, Commentary on the New Testament Use of the Old Testament.
Toujours interpréter un texte local à la lumière du texte global
Ce principe porte aussi le nom « d’analogie de la foi ». Cette expression vient directement de Paul en Romains 12.6 qui dit que le prophète dans l’Église doit s’exprimer selon la logique [analogia] de la foi7. Autrement dit, que celui qui s’exprime dans le culte le fasse selon la règle de la foi qui renvoie à la base, le fondement, l’essentiel normatif et non négociable de la foi chrétienne. On pourrait le dire ainsi : aucune interprétation de la Bible ne peut contredire ce que les Écritures disent autre part.
Lorsqu’une ambiguïté demeure sur le sens d’un mot ou d’une expression, il faut regarder d’abord au contexte immédiat, puis au contexte large. On doit aussi faire la même chose avec une doctrine ou un enseignement. On ne peut fonder toute une doctrine sur un seul passage des Écritures. Souvenez-vous comment Jésus a répondu à Satan en créant des liens interprétatifs entre les textes de la Bible. Afin d’être certain que notre interprétation n’est pas en contradiction avec d’autres textes, il faut faire de la théologie systématique, c’est-à-dire aller voir l’ensemble de ce que dit la Bible concernant un thème. Si vous étudiez un texte qui semble enseigner une doctrine sur l’Esprit, le salut ou la fin des temps, il serait bon d’aller valider ou invalider votre interprétation avec un outil spécialisé qui peut expliquer l’ensemble de l’enseignement biblique et orthodoxe concernant cesdits sujets. L’ouvrage de Wayne Grudem, Théologie systématique, est l’un des meilleurs et un incontournable en français dans le domaine. Tout prédicateur devrait le posséder et en faire usage fréquemment.
Toujours interpréter les textes obscurs à la lumière des textes clairs
Il s’agit d’un principe qui n’est pas trop éloigné du précédent. Toujours dans un but de valider ou d’invalider une interprétation, il est judicieux d’utiliser, à l’appui de votre interprétation, des textes qui parlent, s’ils existent, plus clairement et plus explicitement du même sujet que votre passage. Par exemple, on n’utilise pas l’Apocalypse de Jean pour interpréter Jésus en Matthieu 24 ou bien Paul en 2 Thessaloniciens. On fait l’inverse plutôt, on utilise Jésus et Paul pour interpréter l’Apocalypse.
Toujours distinguer dans un texte ce qui relève du descriptif et du prescriptif
Ce n’est pas parce qu’un homme de Dieu agit de telle manière dans un récit qu’il s’agit impérativement du comportement que l’on doit adopter ou enseigner. Dans les faits, le narrateur critique bien souvent de manière subtile ses personnages. Il y a beaucoup plus de nuances morales dans la Bible que nous voudrions le croire. La bonne « morale » ne se résume presque jamais à une application immédiate et directe du texte, mais demande bien souvent une réflexion et du bon sens. La Bible est faite avant tout pour être méditée longuement et non pour servir de distributrice à applications instantanées8. L’analyse narrative, par exemple, peut aider le prédicateur à discerner ces nuances.
Toujours distinguer dans un texte ce qui relève du contingent et du permanent
On parle ici d’arriver à distinguer ce qui relève d’une vérité intemporelle dans le texte de ce qui relève d’une situation particulière et bien contextuelle à l’époque. Les différents textes bibliques mélangent intimement, encore une fois bien souvent dans plusieurs nuances, des vérités intemporelles à des dispositions temporaires étroitement liées aux modes de vie de l’époque9. C’est pourquoi, il est capital d’arriver à bien distinguer, derrière une action ou une pratique, quel est le principe en arrière. On doit distinguer le principe de Dieu et son application contextuelle. Ensuite, on peut chercher à comprendre comment on doit appliquer cette vérité intemporelle aujourd’hui. Dans la manière où cette vérité-principe est appliquée dans le Bible, il faut considérer le contexte de l’époque.
Dans la Bible, on peut distinguer trois différents types de textes : 1) les textes directement normatifs; 2) les textes normatifs par analogie; 3) les textes non applicables dans notre contexte10. Évidemment, plusieurs textes de la Bible nous interpellent directement. Prenez l’exemple des dix commandements. Le caractère universel et intemporel de plusieurs textes bibliques se ressent naturellement et intuitivement. Comment distinguer ce type de textes dans la Bible ? Eh bien « si l’affirmation ou la situation décrite par un texte est tout aussi vraie pour nous que pour les premiers lecteurs, ce texte s’applique directement à nous11 ». C’est surtout la deuxième catégorie de textes qui pose un problème. Comment savoir si une affirmation biblique s’applique directement à notre situation, ou s’il faut distinguer le principe intemporel de son application spécifique et contextuelle, puis chercher comment adapter l’application à notre contexte ? Encore une fois, « si la situation décrite par un texte est analogue à la nôtre dans son principe, mais non dans ses modalités concrètes, ce texte est normatif pour nous dans son principe, mais pas nécessairement selon ses modalités concrètes »12.
Par exemple, lorsque Pierre demande aux esclaves de respecter leurs maîtres, le principe intemporel est celui du respect des autorités. Le chrétien moderne n’est pas appelé à rejeter ce principe parce que dans son contexte l’esclavage n’existe plus, mais bien à rechercher comment appliquer ce principe intemporel dans son contexte bien spécifique13. Sinon, lorsque Paul sous-entend qu’il n’est pas naturel pour un homme d’avoir les cheveux longs, le principe qu’il évoque est celui de ne pas s’habiller de sorte à exprimer une ambiguïté sexuelle. Aujourd’hui, aucun chrétien ne serait choqué de voir un homme aux cheveux longs dans le culte, mais peut-être de voir un homme maquillé et porter une jupe par exemple14. Nous reviendrons sur ce principe particulier lorsque nous traiterons de la place de l’application dans la prédication biblique.
Finalement, la dernière catégorie de textes stipule que certains textes n’ont absolument aucune application possible pour nous. « Dès lors qu’une situation ou affirmation n’est vraie que pour les premiers destinataires, ce texte ne s’applique pas à nous, bien qu’il puisse avoir un véritable intérêt pour nous »15. Attention, toute la Bible est inspirée et plusieurs textes sont importants et jouent un rôle dans l’ensemble, mais ne transmettent pas directement d’application16. Par exemple, lorsque Paul demande à Timothé de prendre un peu de vin pour ses maux de ventre, ou de lui amener son manteau et ses livres, il n’est pas possible de prendre ses propos comme des ordres normatifs et directs. Il est toujours possible de déduire de l’information de manière indirecte. Par exemple, Paul ne peut être contre le fait de prendre des médicaments pour un chrétien, pas plus qu’il ne peut être contre le fait de consommer de l’alcool. On peut aussi voir chez Paul l’importance de la lecture et des études. Toutefois, ces informations ne constituent pas des applications normatives adressées directement au lecteur. Nous reviendrons sur ce point lorsque nous traiterons de l’application dans la prédication.
Toujours accorder plus de valeur à ce à quoi la Bible en attribue plus et en accorder moins là où elle en attribue moins; autrement dit, parler beaucoup de ce dont la Bible parle beaucoup et parler moins de ce dont elle parle moins. De la même manière dont la chaire de la prédication n’est pas le lieu de nos opinions, elle n’est pas non plus le lieu de nos goûts personnels. Trop de pasteurs et de mouvements fondent leurs préoccupations sur des éléments mineurs de la Parole de Dieu au lieu d’attribuer plus de place à ce à quoi la Bible attribue elle-même le plus de place. La prédication textuelle est un bon antidote à ce problème. Cela ne veut pas dire que le prédicateur va ensuite parler de manière égale de tous les sujets de la Bible, mais plutôt qu’il parlera de ces sujets selon les mêmes proportions que la Bible elle-même le fait.
Conclusion
C’est ce qui vient conclure notre tour d’horizon concernant les grandes règles d’herméneutique de l’histoire de l’Église qui servent à baliser l’interprétation. Dans un prochain numéro, nous traiterons du passage de l’herméneutique à l’homilétique, c’est-à-dire que nous répondrons à la question, comment passer de l’étape de l’interprétation à l’étape de la prédication ?
- Gregg Matte, Unstoppable Gospel: Living Out the World-Changing Vision of Jesus’s First Followers, Baker Books, Grand Rapids, 2015, p. 60. ↩
- Nous rappelons à l’étudiant que certains chercheurs, tel que R. N. Longenecker, soutiennent que les auteurs bibliques n’avaient pas une méthode aussi claire que celle présentée dans ce manuel, mais surtout qu’ils usaient beaucoup plus d’allégories que de typologies et que leurs interprétations n’étaient pas du tout contextuelles. Ils sont accusés d’être aussi atomistiques que les autres approches juives. Voir R. N. Longenecker, »Who is the Prophet Talking about? Some Reflections on the New Testament’s Use of the Old Testament, » Themelios 13 (1987), p. 4-8. Cependant, après avoir fait l’inventaire et l’étude d’un très grand nombre de citations et d’allusions, de nombreux autres chercheurs arrivent à une opinion contraire à ce dernier. Voir G. K., Beale, Manuel de lecture de l’Ancien Testament par le Nouveau Testament, Het-Pro, St-Légier, 2020; G. K. Beal et D. A. Carson, Commentary On The New Testament Use Of The Old Testament, Baker Academic, 2007; C. H. Dodd, According to the Scriptures, Nisnet, Londre, 1952; E. E., Ellis, Paul’s use of the Old Testament, Baker, Grand Rapids, 1981; R. M. Davidson, Typology in Scripture, Andrews University Press, Berrien Springs, 1981; D. A. Hagner, »The Old Testament in the New Testament » dans Interpreting the Word of God, Moody, Chicago, 1976; R. E. Ciampa et B. S. Rosner, The First Letter to the Corinthians, PNTC, Eerdmans, Grand Rapids, 2010; A. T. Hanson, Studies in Paul’s Technique and Theology, SPCK, Londre, 1974; S. L. Johnson, The Old Testament in the New, Zondervan, Grand Rapids, 1980; David Instone-Brewer, Techniques and Assumptions in Jewish Exegesis before 70 C.E., 1992. ↩
- Anthony C. Thiselton, New Horizons in Hermeneutics, p. 163. ↩
- Matthieu Sander, Introduction à l’herméneutique biblique, p. 86. ↩
- Sinclair Ferguson, Preaching Christ from the Old Testament: Developing a Christ-Centered Instinct, Proclamation Trust Media, Londres, 2000, p. 4. ↩
- Timothy Keller, La prédication, p. 74. ↩
- Matthieu Sander, Introduction à l’herméneutique biblique, p. 93. ↩
- Matthieu Richelle, Guide de l’exégèse de l’Ancien Testament, p. 315. ↩
- Matthieu Richelle, Guide de l’exégèse de l’Ancien Testament, p. 315. ↩
- Matthieu Sander, Introduction à l’herméneutique biblique, p. 226-234. ↩
- Matthieu Sander, Introduction à l’herméneutique biblique, p. 227. ↩
- Matthieu Sander, Introduction à l’herméneutique biblique, p. 228. ↩
- Matthieu Sander, Introduction à l’herméneutique biblique, p. 230. ↩
- Matthieu Sander, Introduction à l’herméneutique biblique, p. 231. ↩
- Matthieu Sander, Introduction à l’herméneutique biblique, p. 233. ↩
- Matthieu Sander, Introduction à l’herméneutique biblique, p. 233. ↩
Simon Jean-Claude Archambault est pasteur des ados depuis 10 ans au Canada et depuis 5 ans à l’Église le Portail dans la ville de Laval ainsi que responsable des formations bibliques. Détenteur d’un baccalauréat en Théologie Biblique de l’ITF et d’une maîtrise en exégèse de l’UdeM, il est aussi membre du Concile SOLA et professeur d’herméneutique à l’Institut de Théologie pour la Francophonie (ITF).